Études
De 𝑀𝑎𝑟𝑦 𝑃𝑜𝑝𝑝𝑖𝑛𝑠 aux nounous ivoiriennes de Paris. Lecture croisée de Mary Poppins de Pamela L. Travers et de 𝑄𝑢𝑖 𝑔𝑎𝑟𝑑𝑒𝑟𝑎 𝑛𝑜𝑠 𝑒𝑛𝑓𝑎𝑛𝑡𝑠 de Caroline Ibos
Croisant la perspective littéraire et historiquement située du roman Mary Poppins avec celle sociologique et contemporaine de Caroline Ibos dans Qui gardera nos enfants ?, cette étude s’intéresse aux convergences entre les deux ouvrages, à leurs divergences et enfin, aux idées reçues qu’ils comportent.
𝐿’𝑂𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑙’𝑎𝑚𝑜𝑢𝑟, l’ombre du 𝑐𝑎𝑟𝑒
L’Ombre de l’amour, roman de Marcelle Tinayre, suit la trajectoire de deux personnages féminins qui endossent le rôle de care givers auprès d’hommes en position de vulnérabilité. L’œuvre porte à réfléchir aux liens qui unissent care, érotisation et sacrifice, à travers des destinées qui, bien qu’elles semblent soumises à l’égoïsme du désir masculin, laissent poindre une réflexion audacieuse sur la possibilité d’une réappropriation du « prendre soin » par les femmes.
Le 𝑐𝑎𝑟𝑒 électif et l’ordre de la sollicitude dans 𝐿𝑒 𝑆𝑜𝑛𝑔𝑒 de Montherlant
En assumant le rôle traditionnel lié au care féminin, Dominique reprend contact avec ce que Montherlant voit comme un « besoin de se donner » qui « consume » les femmes. Elle tombe ensuite passionnément amoureuse d’Alban, voulant lui étendre ce don d’elle-même. Ce passage, d’emblée, ne va pas de soi, mais permet l’analyse de toute une série de « jeux » de vulnérabilité et de tendresse au cœur du roman qui font du care le vecteur principal d’inculcation d’une forme de la féminité malvenue et fortement dépréciée chez Montherlant : celle de la « stryge » qui dévirilise, empêtre et détruit l’homme libre.
Thérèse Desqueyroux ou l’impossible sainte Locuste
À première lecture, Thérèse Desqueyroux possède tous les traits d’une héroïne de l’« anti-care ». Que dire en effet d’une épouse qui empoisonne (sans parvenir à ses fins criminelles) son époux, d’une mère qui néglige sa fille, d’une belle-fille en révolte, sans cesse oublieuse de ses « devoirs » et des « convenances » sociales les plus élémentaires ? Que penser d’une jeune femme qui essaie de se suicider, qui participe avec zèle à la séparation d’Anne de la Trave et de Jean Azévédo, et qui au plan des relations interpersonnelles ne se démasque jamais ou presque, y compris lorsqu’elle atteint la rive en apparence apaisée de Paris ? À y regarder de plus près, cependant, force est d’admettre que la personnalité et le comportement social de l’héroïne éponyme revêtent une ambiguïté fondamentale qui n’exclut pas certaines formes de prendre soin, fussent-elles l’expression d’une action violente.
𝐸𝑛 𝑟𝑎𝑑𝑒 : l’irresponsabilité du personnage huysmansien
Les soins prodigués par le personnage masculin au personnage féminin ont quelque chose de nouveau dans En rade de Huysmans. La maladie de Louise la met dans une position de vulnérabilité qui est généralement celle de l’homme, accablé physiquement et moralement dès qu’il doit assumer ses propres besoins. Cette vulnérabilité de l’épouse à laquelle Jacques n’est pas vraiment capable de répondre est l’une des principales causes de l’effritement de son ménage et soulève des questions sur la sollicitude et le soin, la responsabilité et la pitié.
Edmée, l’ange blanc : la figure de l’infirmière dans 𝐿𝑎 𝐹𝑖𝑛 𝑑𝑒 𝐶ℎ𝑒́𝑟𝑖 de Colette
Si Chéri échoue au retour de la guerre à trouver sa place dans la nouvelle ère, c’est loin d’être le cas de tous les personnages de La Fin de Chéri. À l’opposé, la douce et muette Edmée qu’il avait épousée dans Chéri est, elle, en pleine ascension. Devenue infirmière dans un hôpital pour vétérans, Edmée a une carrière, des responsabilités, même un amant. Toute dévouée à son nouveau métier, c’est donc en prenant soin des autres qu’elle s’émancipe. Pourtant, Edmée ne saurait être réduite à l’image angélique que lui attribue son statut d’infirmière au sortir de la Première Guerre mondiale ; personnage difficile à cerner, tant du côté de ses motivations que de son attitude à l’égard de son mari, elle apparaît plutôt comme une figure du care profondément ambivalente.
Zola et la prostitution ou le « contre-𝑐𝑎𝑟𝑒 nanesque »
Zola ne porte pas son attention exclusivement à la condition misérable de la prostituée de rue : c’est tout l’éventail des formes du « service/travail prostitutionnel » qui est introduit dans Nana et qui participe à brosser un tableau exhaustif des activités et des agents du vice impérial. Avant même sa parution en feuilleton, Nana eut à subir les foudres d’une bonne part de la critique bienpensante pour l’immoralité dont l’œuvre serait porteuse. Zola pourtant n’a eu de cesse de défendre son œuvre au nom d’une « contre-morale » ayant le souci aigu de son lectorat (en particulier celui composé des filles pauvres, dont il s’agit de prendre soin).
Entre « Nounoune » et Pygmalion : l’ambivalence du 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans 𝐶ℎ𝑒́𝑟𝑖 de Colette
Agissait pour Chéri à la fois comme une compagne orgueilleuse et comme une mère de substitution toute dévouée à son bien-être, Léa lui témoigne une sollicitude qui rend leur relation ambiguë : la manière dont elle prend soin de son jeune amant affiche la nature implicitement incestueuse de leur relation et participe du brouillage des rôles de genre qui la caractérise.
Amour et servitude : le 𝑐𝑎𝑟𝑒 domestique dans 𝐿𝑎 𝐺𝑖𝑟𝑙 de Lucie Delarue-Mardrus
Héritière de l’influence de la figure de la New woman sur l’imaginaire social, Lucie Delarue-Mardrus en offre un exemple par l’entremise du personnage d’Anne-Marie Rosnier, protagoniste du roman La Girl publié en 1939. Ici, l’émancipation d’Anne-Marie, plutôt que de passer par le travail, deviendra possible grâce à son divorce, qui la libère de ses obligations conjugales, notamment du travail domestique.
Françoise au service de l’œuvre : l’inspirante cuisinière d’𝐴̀ 𝑙𝑎 𝑟𝑒𝑐ℎ𝑒𝑟𝑐ℎ𝑒 𝑑𝑢 𝑡𝑒𝑚𝑝𝑠 𝑝𝑒𝑟𝑑𝑢
Françoise est un personnage complexe qui traverse la Recherche, de Du côté de chez Swann (1913) où elle apparaît d’abord comme la servante de tante Léonie, jusqu’au Temps retrouvé (1927) où elle se dévoue au héros malade et vieillissant. Le soin qu’apporte Françoise dans la confection de ses merveilles gustatives lui confère non seulement un statut d’artiste momentané, mais constitue aussi une manière indirecte de prendre soin de l’œuvre future du héros, auquel elle inculque, certes sans en être consciente, des principes esthétiques qui le guideront dans l’écriture de son livre.
Félicité, ou la bonne empaillée : simplicité et vulnérabilité dans « Un cœur simple » de Flaubert
Sorte d’étude du caractère d’un personnage extrêmement répandu dans la littérature narrative du XIXe siècle – la servante, ou la « bonne » –, « Un cœur simple » parcourt, de façon expéditive et elliptique – à la façon du conte, en somme –, la longue vie de servitude de Félicité.
Transmission du 𝑐𝑎𝑟𝑒 de mère en fille : 𝐿𝑎 𝐹𝑖𝑙𝑙𝑒 𝐸𝑙𝑖𝑠𝑎 d’Édmond de Goncourt
Bien que le roman dépeigne le destin d’une jeune prostituée parisienne du XIXe siècle, il semble que, dans le cadre d’une recherche sur les figures du care en littérature, la mère et la fille ont autant d’importance l’une que l’autre. On peut en effet établir un lien entre le travail de la mère et la condition de prostituée de sa fille. Tournée vers le soin d’autrui, la mère prodigue un care à double face, puisqu’elle est maïeuticienne en même temps que faiseuse d’anges. Quant à sa fille, c’est davantage son inclination naturelle à prendre soin d’autrui que la nature de son métier de prostituée, peu décrit dans le roman, qui la place dans une posture de care giver.
Le 𝑐𝑎𝑟𝑒 à la croisée des rapports de pouvoir dans 𝑀𝑎𝑑𝑒𝑚𝑜𝑖𝑠𝑒𝑙𝑙𝑒 𝐽𝑢𝑙𝑖𝑒 d’August Strindberg
Dans Mademoiselle Julie, la relation entre les care givers et les care receivers est marquée par l’idée de lutte pour le pouvoir, à tel point que care et domination deviennent indissociables.
Réconcilier émancipation et travail du 𝑐𝑎𝑟𝑒 : 𝐿𝑎 𝑅𝑒𝑏𝑒𝑙𝑙𝑒 de Marcelle Tinayre
Le roman pose la question de la réconciliation entre le besoin d’émancipation des femmes et leurs sentiments amoureux. Ainsi, on peut observer un conflit entre la vision progressiste et féministe de Noël et de Josanne, et la manière dont se structure leur relation, dans l’intimité, où Josanne prend un rôle plus traditionnel, ancré dans le souci de l’autre, voire dans la servitude. Cette apparente contradiction dans le discours féministe de l’œuvre se reflète dans la manière dont est présentée la domesticité et dans la perception du travail du care et de la place des femmes au sein du noyau familial qui se dégage du roman.
𝐿𝑒 𝐷𝑒́𝑠𝑒𝑠𝑝𝑒́𝑟𝑒́ de Léon Bloy : une mystique du 𝑝𝑟𝑒𝑛𝑑𝑟𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑛
Interroger le premier roman de l’« exclusivement, éperdument catholique » Léon Bloy sous l’angle du care (éthique laïque tant dans sa forme que dans son contenu) ne relève-t-il pas de la gageure ? Plus spécifiquement, cette œuvre brûlant à la fois et sans contradiction d’idées catholiques et anticléricales, qui invective tant « l’ondoyante muflerie » des athées que l’Église catholique romaine devenue aux yeux de Bloy « la Salope du monde » en cette fin du XIXe siècle, peut-elle vraiment être relue à la lumière des éthiques du « prendre soin » ?