Études
Le 𝐽𝑜𝑢𝑟𝑛𝑎𝑙 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑚𝑏𝑟𝑒, ou le 𝑐𝑎𝑟𝑒 ambivalent de la domesticité
Sur la condition des domestiques français au tournant du siècle, les curieux pourront consulter maints ouvrages historiques se démarquant par leur sérieux, leurs détails et leur érudition ; d’autres se tourneront plutôt vers la fiction naturaliste, s’ils ont foi en cette science par le récit qui prétend rendre objectivement la vie des pauvres ; pour ceux qui restent, le canon français a encore retenu Mirbeau et son Journal d’une femme de chambre (1900), récit subjectif, de pure invention, et dont le style au vitriol étonne encore par son trop-plein d’amertume et de mépris incisif.
Diptyque des relations de 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans 𝐶ℎ𝑎𝑖𝑟 𝑚𝑜𝑙𝑙𝑒 de Paul Adam
Puisque les relations dans Chair molle sont construites sur l’« entretien » de l’autre qui consiste à combler tous ses besoins par l’argent, la dyade « se charger de » et « être pris.e en charge » semble être le meilleur moyen pour observer dans le roman de quelles manières se construisent les relations de care dans le prisme de la prostitution.
Le 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans l’univers de la maison close : 𝐿𝑎 𝑀𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛 𝑇𝑒𝑙𝑙𝑖𝑒𝑟 de Maupassant
La Maison Tellier est un récit à la fois comique et porteur d’une critique mordante de l’hypocrisie des valeurs bourgeoises et de la religion. Les figures du care qui peuplent la nouvelle, soit celles de la prostituée et de la patronne de la maison close, évoluent donc elles aussi dans cette « équivoque filée » qui marque le récit.
L’ambivalence des sentiments envers les figures du 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans 𝐿𝑒 𝐹𝑖𝑙𝑠 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑠𝑒𝑟𝑣𝑎𝑛𝑡𝑒 d’August Strindberg
Ce roman autobiographique, dans lequel Strindberg relate son enfance, est l’occasion de dépeindre les mœurs et le paysage suédois de la seconde moitié du XIXe siècle. La sensibilité du narrateur permet de mieux appréhender les personnages et l’importance qu’ils représentent, notamment en ce qui concerne les figures du care qui l’accompagnent tout au long de son développement.
La faute de Gervaise Macquart : penser 𝐿’𝐴𝑠𝑠𝑜𝑚𝑚𝑜𝑖𝑟 à la lumière de la sollicitude
Si la « sollicitude suppose du lien », un réseau de participation affective ou existentielle, une « forme primaire de la relation active aux autres », peut-on présumer que le lien suppose inversement la sollicitude ? Cela reviendrait à dire que la rage de s’attacher aux gens que partage Gervaise avec sa mère en serait aussi une de sollicitude ; une rage de care ?
Compassion et 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans 𝑉𝑜𝑦𝑎𝑔𝑒 𝑎𝑢 𝑏𝑜𝑢𝑡 𝑑𝑒 𝑙𝑎 𝑛𝑢𝑖𝑡 de Louis-Ferdinand Céline
Dressant un portrait plutôt pessimiste de son époque et de la société française, Voyage au bout de la nuit est entre autres caractérisé par l’absence de bienveillance entre les personnages ; or, c’est justement ce manque presque total de sollicitude dans l’œuvre qui, grâce au ton cynique de la narration, permet de dénoncer l’absence de care dans la France du début du XXe siècle.
𝑀𝑎𝑑𝑎𝑚𝑒 𝐸𝑑𝑤𝑎𝑟𝑑𝑎 : la prostituée qui déborde
Le personnage de Madame Edwarda dans le récit éponyme de Georges Bataille est bel et bien une prostituée « au service » de ses clients ; pourtant, malgré la fortune que connaît son nom, peut-être galvaudée par l’aura de scandale qui nimbe plusieurs des récits érotiques de Bataille, Madame Edwarda ne saurait rejoindre le panthéon des personnages de prostituées de la littérature française.
Entre 𝑐𝑎𝑟𝑒 et domination : 𝑀𝑜𝑛𝑠𝑖𝑒𝑢𝑟 𝑉𝑒́𝑛𝑢𝑠 de Rachilde
Reconnue comme une figure phare du décadentisme français, Rachilde publie en 1884 son deuxième roman, Monsieur Vénus, en Belgique à l’âge de 24 ans. Dès sa parution, le roman fait scandale dans « son pays d’accueil », où l’on peine à croire qu’une jeune femme aristocrate française puisse publier une œuvre d’une si grande perversion.
𝑀𝑎𝑟𝑡ℎ𝑒, ℎ𝑖𝑠𝑡𝑜𝑖𝑟𝑒 𝑑’𝑢𝑛𝑒 𝑓𝑖𝑙𝑙𝑒 : la « vie plus effroyable que toutes les géhennes »
Marthe, histoire d’une fille (1876) est le premier roman publié de J.-K. Huysmans. Avec Les Sœurs Vatard (1879), son deuxième roman, qui raconte le sort de deux grisettes, Marthe a ceci de particulier, par rapport à la majorité des œuvres plus tardives de Huysmans, qu’il s’attache à un personnage féminin et qu’il s’attarde, en quelque sorte, à chercher des causes aux défauts attribués à la féminité dans les romans subséquents de l’auteur.
𝐿𝑒𝑠 𝑆𝑒́𝑣𝑟𝑖𝑒𝑛𝑛𝑒𝑠 de Gabrielle Réval ou la vie solitaire des « professeurs-femmes »
Publié chez le célèbre éditeur parisien Ollendorff, Les Sévriennes (1900) est le premier roman semi-autobiographique de la nouvelle entrante dans le champ littéraire et ancienne élève de l’École normale de Sèvres, Gabrielle Réval. Étude des mœurs des futures professeures des lycées de jeunes filles de la IIIe République, le roman de Réval s’inscrit de manière très générale dans le sillage des romans de mœurs (sociales, amoureuses et familiales) écrits par des femmes talentueuses à l’orée du XXe siècle en France.
Un claquement de porte qui retentit dans toute l’Europe : 𝑈𝑛𝑒 𝑚𝑎𝑖𝑠𝑜𝑛 𝑑𝑒 𝑝𝑜𝑢𝑝𝑒́𝑒 d’Henrik Ibsen ou le 𝑠𝑒𝑙𝑓-𝑐𝑎𝑟𝑒
Publiée en 1879, la pièce de théâtre Une maison de poupée d’Henrik Ibsen remue les idées naissantes d’un débat sur le féminisme partout en Europe, alors que le personnage principal de la pièce, Nora, quitte son mari et ses enfants sans jeter un regard en arrière. Cet abandon de la famille est le point sur lequel tous les critiques se penchent, autant dans une perspective théâtrale que sociale. Alors que certains estiment la décision de Nora comme une rupture dans le dispositif théâtral de la pièce, d’autres considèrent le départ du personnage principal, comme un acte égoïste absolument monstrueux de la part d’une femme.
La guerre au féminin dans 𝑈𝑛 𝑟𝑜𝑚𝑎𝑛 𝑐𝑖𝑣𝑖𝑙 𝑒𝑛 1914 de Lucie Delarue-Mardrus
Un roman civil est un roman de Lucie Delarue-Mardrus publié en 1916 chez Fasquelle. L’œuvre, qui suit le quotidien d’une famille de la haute société française, relate les tout débuts de la Première Guerre mondiale en mettant l’accent sur le travail des infirmières et des médecins de la Croix-Rouge. Écrit par une autrice qui fut elle-même infirmière volontaire dès 1914, le roman se lit comme une incitation à la mobilisation des femmes pour soutenir leur pays, un engagement qui passe le plus souvent par la dimension pratique du travail de care.
Un 𝑐𝑎𝑟𝑒 fantomatique : texte et contre-voix dans 𝑁𝑎𝑑𝑗𝑎 d’André Breton
La question formulée dans l’incipit de Nadja d’André Breton, ce « Qui suis-je ? » qui donne le ton au récit, l’inscrit d’emblée dans le genre autobiographique. Du moins, elle annonce déjà un « récit de soi » : les nombreux pactes de lecture qui suivront, et la concordance onomastique auteur/narrateur/protagoniste (l’un des deux, en tout cas), achèveront de le ranger aux côtés d’illustres prédécesseurs, soit les écrits autobiographiques de Rousseau, de Châteaubriand, de Sand, de Stendhal, de Colette et de Gide, entre autres.
Transgression au féminin et subversion du 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans 𝐿𝑒𝑠 𝐷𝑖𝑎𝑏𝑜𝑙𝑖𝑞𝑢𝑒𝑠 de Barbey d’Aurevilly
Publié en 1874, Les Diaboliques de Barbey d’Aurevilly marque l’imaginaire de l’époque : dès sa parution, la police saisit 480 exemplaires imprimés, l’auteur évite de peu un procès pour atteinte aux mœurs et l’œuvre est retirée de la vente. Les Diaboliques, considérée comme l’une des œuvres les plus importantes d’Aurevilly, laquelle il passa plus de deux décennies à écrire, est composée de six nouvelles : « Le rideau cramoisi », « Le plus bel amour de Don Juan », « Le bonheur dans le crime », « Le dessous de cartes d’une partie de whist », « À un dîner d’athées », ainsi que « La vengeance d’une femme ». Dans la présente note de lecture, il sera question seulement des quatre dernières nouvelles du recueil, qui permettent de mettre à jour les liens inextricables qui unissent la notion de care à la celle de gender.
𝐿𝑎 𝐹𝑒𝑚𝑚𝑒 𝑝𝑎𝑢𝑣𝑟𝑒 de Léon Bloy ou l’absolu don de soi
Examiner La Femme pauvre : épisode contemporain de Léon Bloy sous l’angle du care ne saurait a priori déplaire au critique bloyen, à condition toutefois d’adjoindre l’épithète « catholique » au concept philosophique issu du monde anglo-saxon, plus précisément de toujours rattacher celui-ci aux données hétérodoxes au fondement de l’imaginaire religieux irrémédiablement situé et daté de l’« assoiffé d’absolu ». Dans La Femme pauvre, en effet, c’est l’ensemble des personnages bienveillants (et non pas uniquement l’héroïne) qui se définissent à la fois par l’intérêt désintéressé qu’ils portent aux autres (care about, for) et par les soins qu’ils prodiguent à ceux qui en expriment plus ou moins ouvertement le besoin (take care of).