Le đœđ‘œđ‘ąđ‘Ÿđ‘›đ‘Žđ‘™ 𝑑’𝑱𝑛𝑒 𝑓𝑒𝑚𝑚𝑒 𝑑𝑒 𝑐ℎ𝑎𝑚𝑏𝑟𝑒, ou le 𝑐𝑎𝑟𝑒 ambivalent de la domesticitĂ©

Jérémy Champagne

 

« J’en ai vu des intĂ©rieurs et des visages
 et de sales Ăąmes1 Â»

Sur la condition des domestiques français au tournant du siĂšcle, les curieux pourront consulter maints ouvrages historiques se dĂ©marquant par leur sĂ©rieux, leurs dĂ©tails et leur Ă©rudition2 ; d’autres se tourneront plutĂŽt vers la fiction naturaliste â€“ littĂ©rature investigatrice qu’il faut appeler « fiction Â» avec prudence â€“,  s’ils ont foi en cette science par le rĂ©cit qui prĂ©tend rendre objectivement la vie des pauvres ; pour ceux qui restent, le canon français a encore retenu Mirbeau et son Journal d’une femme de chambre (1900), rĂ©cit subjectif, de pure invention, et dont le style au vitriol Ă©tonne encore par son trop-plein d’amertume et de mĂ©pris incisif. Mais contrairement au contrat naturaliste, la distance de l’observation, le travail Ă  partir de sources et la richesse de la documentation ne sont pas, en apparence, les qualitĂ©s premiĂšres du projet mirbellien3, qui fonde plutĂŽt sa rĂ©flexion sur une « sensibilitĂ© personnelle4 Â». Aussi le bref avertissement aux lecteurs du Journal, d’abord publiĂ© en feuilleton dans La Revue blanche, puis chez Georges Charpentier et EugĂšne Fasquelle â€“ avertissement oĂč Octave Mirbeau prĂ©tend avoir reçu puis rĂ©Ă©crit le journal d’une authentique femme de chambre â€“,  n’est « pas pris au sĂ©rieux5 Â» par les contemporains de l’auteur. Vraisemblablement, et si l’on en croit NoĂ«l Arnaud6, c’est plutĂŽt la vie de Mirbeau qui fĂ»t sa documentation ; et le rĂ©cit cinglant pris en charge par un « je Â» subversif â€“ car ni celui du poĂšte, ni celui du mĂ©morialiste, mais celui d’une bonne, d’une domestique, donc rendu doublement sacrilĂšge par le sexe et le statut social â€“ fonctionne par truchement et semble faire Ă©cho Ă  la verve pamphlĂ©taire de l’écrivain anarchiste, ainsi qu’au mode du « dĂ©chaĂźnement verbal Â» qui caractĂ©rise une part de son Ɠuvre, pour reprendre les termes Ă©loquents d’ÉlĂ©onore Reverzy7. Ainsi le texte de Mirbeau, en sa qualitĂ© de tĂ©moignage, et malgrĂ© l’» imagination excessive, grossissante et romanesque Â» (JFC, 58) qui le conduit, peut prĂ©tendre concurrencer le travail des historiens, dans la mesure oĂč il porte l’expĂ©rience propre et immĂ©diate d’un « je Â» qui exprime sa vĂ©ritĂ© subjective, au moins aussi lĂ©gitime que la vĂ©ritĂ© dite objective des historiens ou des naturalistes.

À propos de cette condition de domestique, la vĂ©ritĂ© de Mirbeau, en l’occurrence, insiste sur les aspects exĂ©crables de l’office, en adoptant le point de vue de CĂ©lestine, femme de chambre encore jeune mais expĂ©rimentĂ©e, issue d’une famille dĂ©bauchĂ©e, sexuellement prĂ©coce et qui, Ă  force d’enchaĂźner les places et de cĂŽtoyer la « saletĂ© Â» (dans tous les sens du terme) de ses maĂźtres successifs, est rendue cynique par le mĂ©tier. Au « PrieurĂ© Â» des Lanlaire, couple de bourgeois provinciaux, CĂ©lestine Ă©coulera ses derniers jours de bonne, gratifiant son journal d’entrĂ©es plus ou moins hebdomadaires, avant de se marier avec Joseph, jardinier-cocher des Lanlaire, farouchement antisĂ©mite, puis de s’établir avec lui Ă  Cherbourg â€“ aprĂšs qu’il eut pris soin de piller l’argenterie de ses maĂźtres â€“,  quittant dĂ©finitivement l’office pour aller tenir un petit cafĂ©. HabituĂ©e Ă  la coquetterie des maisons parisiennes, CĂ©lestine ne cachera, tout au long du journal, ni son dĂ©dain ni son ennui Ă  l’idĂ©e de servir les Lanlaire, dans leur « geĂŽle de murs inhospitaliers Â» (JFC, 435), et l’écriture de son journal lui permettra Ă  la fois de se dĂ©sennuyer et de rĂ©flĂ©chir, en la racontant, Ă  sa vie de domestique passĂ©e et prĂ©sente. Sur les « sales Ăąmes Â» de ses nombreux maĂźtres CĂ©lestine s’arrĂȘtera longuement, dĂ©taillant leurs histoires sordides et, en vĂ©ritable « hermĂ©neute8 Â» de l’ñme bourgeoise, passant outre le voile de pudeur et la tenue hypocrite de leurs maisons, y racontera plutĂŽt la bassesse de leurs corps dĂ©sirants et la laideur intĂ©ressĂ©e de leurs affectations.

HostilitĂ© de l’espace domestique

Le mĂ©tier de CĂ©lestine est compliquĂ© par une sĂ©rie de difficultĂ©s qui reviennent, fatalement, dans chaque maison oĂč elle s’établit. Le travail est pĂ©nible, notamment lorsqu’il atteint la santĂ© physique des bonnes, santĂ© face Ă  laquelle les maĂźtres demeurent parfaitement indiffĂ©rents : « J’ai les reins rompus, les genoux presque ankylosĂ©s, je n’en puis plus
 cela suffit Ă  Madame
 elle est contente
 Et dire qu’il existe une sociĂ©tĂ© pour la protection des animaux
 Â» (JFC, 104) Mais outre la pĂ©nibilitĂ© de l’exploitation physique, qui n’est certes pas nĂ©gligeable, l’un des obstacles majeurs au bon accomplissement d’un vĂ©ritable travail de « bon care Â» par les bonnes â€“ travail qui serait fondĂ© sur une vocation, donc sur une volontĂ© lucide et un consentement Ă©clairĂ© de la part de celles qui prodiguent des soins ou offrent leurs services9 â€“ tient Ă  l’imprĂ©cision de la dimension contractuelle de l’emploi : en effet, les termes flous des contrats oraux ou tacites passĂ©s entre les employeurs et leurs domestiques empĂȘchent ces derniers de cerner complĂštement les motifs dissimulĂ©s de leurs maĂźtres. L’exemple le plus probant de cette exploitation implicite est le moment oĂč CĂ©lestine est recrutĂ©e par une Mme de Tarves qui, jouant l’entremetteuse, cherche Ă  la livrer Ă  son fils, M. Xavier, pour empĂȘcher que celui-ci ne quittĂąt le foyer familial en lui donnant une raison â€“ amoureuse, sexuelle â€“ d’y rester. Ce qui s’apparente Ă  du proxĂ©nĂ©tisme au fĂ©minin finit par faire obstacle Ă  la relation entre CĂ©lestine et son employeuse qui, rendue furieuse par l’indiffĂ©rence de son fils, fait retomber sa foudre sur la pauvre domestique, qui est alors mise Ă  pied. ÉvincĂ©e, CĂ©lestine, qui n’a ni la dignitĂ© du nom ni celle du statut social, ne trouve aucun recours, lĂ©gal ou non, pour faire entendre sa voix â€“ aussi l’amertume qui parcourt son journal apparaĂźt comme la marque d’une frustration accumulĂ©e puis exprimĂ©e avec l’effet d’un torrent verbeux ; comme l’écrit Aleksandra Gruzinska, « [l]e journal permet [Ă  CĂ©lestine] de se dĂ©barrasser de la tension et de la violence qui bout en elle chaque fois que son maĂźtre l’humilie10. Â» En outre, cette « charge Â» de travail qui n’est pas divulguĂ©e explicitement par l’employeur agit aussi comme un chantage Ă  l’emploi puisqu’il empĂȘche les domestiques de faire des choix Ă©clairĂ©s mĂȘme avant d’ĂȘtre sous le service de leurs maĂźtres. On comprend vite que, dans un monde oĂč les bonnes sont remplaçables et les places plutĂŽt rares, le travail domestique est prĂ©caire et la protection des employĂ©s de l’office en cas d’injustice est presque nulle.

Bref, la possibilitĂ© d’une « vocation Â», chez CĂ©lestine, est effritĂ©e par des annĂ©es de servitude inique dans des espaces qui lui sont hostiles sur tous les plans. Pire : elle est contaminĂ©e par la saletĂ© de ses hĂŽtes, puisqu’il est dit que « [l]es domestiques apprennent le vice chez leurs maĂźtres
 Â» (JFC, 315) CĂ©lestine, cependant, ne s’empĂȘche pas de trouver quelques victoires, ou quelques joies â€“ mĂȘme passagĂšres â€“ dans l’exercice de ses fonctions. C’est le cas, par exemple, lorsqu’elle doit s’occuper de l’hygiĂšne ou de la cosmĂ©tique de ses maĂźtresses :

Habiller, dĂ©shabiller, coiffer, il n’y a que cela qui me plaise dans le mĂ©tier
 J’aime Ă  jouer avec les chemises de nuit, les chiffons et les rubans, tripoter les lingeries, les chapeaux, les dentelles, les fourrures, frotter mes maĂźtresses aprĂšs le bain, les poudrer, poncer leurs pieds, parfumer leurs poitrines, oxygĂ©ner leurs chevelures, les connaĂźtre, enfin, du bout de leurs mules Ă  la pointe de leur chignon, les voir toutes nues
 De cette façon, elles deviennent pour vous autre chose qu’une maĂźtresse, presque une amie ou une complice, souvent une esclave
 (JFC, 71)

Mais dans ce cas, moins d’une vocation, il s’agit plutĂŽt d’une possibilitĂ©, pour la domestique, de petite vengeance. Mieux : il s’agit d’inverser la hiĂ©rarchie entre elle et sa maĂźtresse, qui devient « esclave Â» Ă  son tour. Car la domestique exerce aussi un pouvoir, mais plus implicite, plus insidieux. Sa vengeance, qui consiste Ă  rĂ©tablir une certaine horizontalitĂ© dans les rapports, profite elle-mĂȘme de cet espace de non-dits, anti ou para-contractuel, pour s’exprimer : par l’entretien du corps de la maĂźtresse, la distance pudique voire dĂ©daigneuse entre le haut et le bas se voit d’un seul coup rĂ©duite Ă  nĂ©ant et dĂ©voile la vraie cause de la propretĂ©, qu’on dĂ©couvre ĂȘtre le fruit du travail d’une bonne. Est alors rĂ©tabli un lien de causalitĂ© entre la tenue des maĂźtresses et le travail des bonnes et du mĂȘme coup leur relation d’interdĂ©pendance qui permet, justement, l’établissement d’un rapport de force, d’une lutte constante11. L’hostilitĂ© de l’espace domestique est donc dĂ©terminĂ©e par cette lutte que tente, par tous les possibles, de mener l’employĂ©e pour diminuer l’asymĂ©trie entre elle et ses hĂŽtes â€“ rapport qui peut prendre la forme d’une nĂ©gociation frontale Ă  l’embauche, puis se dissoudre en gestes et paroles plus subtils pendant le service ; dans le cas de CĂ©lestine et Joseph, l’hostilitĂ© culmine en un geste Ă©clatant dont ils arrivent pourtant Ă  se disculper, passĂ©s maĂźtres dans l’art de la sournoiserie pernicieuse : le cambriolage de la maison des maĂźtres.

Corps contre care : amour, sacrifice et prostitution

Ce cambriolage avant de quitter le service, dans l’économie du rĂ©cit, semble lui-mĂȘme rĂ©tablir une symĂ©trie en rĂ©pondant Ă  la dĂ©possession presque totale que subissent les domestiques dĂšs leur entrĂ©e en service. Cette dĂ©possession concerne d’abord leur espace habitable : ils sont arrachĂ©s Ă  leur propre domus et doivent aller vivre avec leurs maĂźtres â€“ Ă  la maniĂšre d’esclaves â€“,  pour constituer leur « office Â». CĂ©lestine, par exemple, doit, entre deux maisons, ĂȘtre hĂ©bergĂ©e dans un bureau de placement qui fait office d’hĂŽtel temporaire pour les domestiques en Ă©tat d’errance ou de transition, et qui ont encore la chance de ne pas devoir « faire la rue Â» â€“ encore que les placeuses les y enjoignent, en vĂ©ritables « trafiquantes d’esclaves Â» (JFC, 371). Ensuite, cette dĂ©possession concerne leur nom, par pur caprice, ce qui exacerbe l’hostilitĂ© des domestiques envers leurs hĂŽtes : « CĂ©lestine Â», dit la Lanlaire, est « beaucoup trop long
 Je vous appellerai Marie, si vous le voulez bien. Â» (JFC, 38) Autre dĂ©possession : les domestiques n’ont bien sĂ»r pas le droit d’avoir une famille â€“ aussi, Ă  l’embauche, une dame refuse que sa future femme de chambre puisse voir sa propre fille, mĂȘme une fois par an ; une autre femme, bien malheureuse, meurt d’une « fausse couche Â» quelques jours aprĂšs son « interrogatoire Â» (JFC, 373) d’embauche. Enfin, ces bonnes subissent une dĂ©possession du corps, et leur apparence doit ĂȘtre, au dĂ©sir de leur maĂźtresse, harmonisĂ©e Ă  celle de la maison, uniformisĂ©e Ă  celle des autres bonnes, qui deviennent presque des dĂ©corations, en somme, qui doivent s’intĂ©grer au mobilier. C’est que les maĂźtresses ont une rĂ©putation Ă  tenir, quand ce n’est pas de la prĂ©paration « coquette Â» en vue d’une prostitution future, ce qui est le cas, par exemple, de l’intervention de Mme de Tarves â€“ dont on rappelle qu’elle se fait l’entremetteuse de son fils â€“ sur la mise de CĂ©lestine, intervention jugĂ©e par celle-ci comme une « inspection violatrice Â» : « Je n’aime avoir prĂšs de moi que des femmes bien faites
 C’est plus convenable
 Â» ; « Ah ! Vos cheveux !... Je dĂ©sire que vous les coiffiez autrement
 Â» ; « Oh ! Cette toile
 ces bas
 ces chemises
 quelle horreur !... Et ce corset ! Â», etc. (JFC, 281-283) Le corps de la domestique, ici, dĂ©coupĂ© par le regard du maĂźtre, est conçu comme la propriĂ©tĂ© de la maison et doit devenir le miroir du corps de la maĂźtresse, dans l’un des nombreux jeux spĂ©culaires qui caractĂ©risent le rĂ©cit mirbellien : « vous ferez comme je fais : c’est un point capital
 Vous prendrez un bain, demain, je vous indiquerai
 Â» (JFC, 284) Une propriĂ©tĂ© sans Ăąme (car le pantin suit les gestes de la main, les « indications Â» de celui qui le contrĂŽle), sans nom, sans vie : un corps, en somme, qui sacrifie sa conscience.

Pour CĂ©lestine, l’aliĂ©nation tient aussi, en partie, Ă  un trait de caractĂšre qui lui est propre, Ă  savoir sa faiblesse envers les hommes, qui se traduit en un amour « dĂ©sintĂ©ressĂ© Â» (JFC, 43) similaire Ă  l’agapĂš platonicienne reprise par la thĂ©ologie chrĂ©tienne12. Pour le dire clairement, Mirbeau nous prĂ©sente une femme qui est disposĂ©e Ă  l’aliĂ©nation. En effet, lorsque CĂ©lestine a le malheur de tomber amoureuse, qu’il s’agisse de M. Xavier ou de Joseph, elle en vient systĂ©matiquement Ă  perdre sa raison pour sacrifier tout son ĂȘtre Ă  l’intensitĂ© de sa passion. L’épisode qui permet de saisir ce caractĂšre sacrificiel inflexible et l’aspect intransigeant, voire inconditionnel, de l’amour de CĂ©lestine est celui oĂč elle est recrutĂ©e par Mme Georges pour offrir « de la jeunesse, de la gentillesse, de la gaietĂ©, de la vie
 Â» (JFC, 168) Ă  son petit-fils, M. Georges, un tuberculeux en fin de vie. Imputant Ă  leurs Ă©bats l’état de fatigue qui s’exacerbe graduellement chez le jeune homme (qui finit par mourir, Ă©videmment), CĂ©lestine en affecte, encore cinq ans aprĂšs les Ă©vĂ©nements, une culpabilitĂ© grave et touchante. D’ailleurs, l’épisode est assez important pour faire l’objet d’une commĂ©moration dans son journal, dont voici quelques lignes :

Aujourd’hui, 6 octobre, voici une date pleine de souvenirs
 Depuis cinq annĂ©es que s’est accompli le drame que je veux conter, tous les dĂ©tails en sont demeurĂ©s vivaces en moi. Il y a un mort dans ce drame, un pauvre petit mort, doux et joli, et que j’ai tuĂ© pour lui avoir donnĂ© trop de caresses et trop de joies, pour lui avoir donnĂ© trop de vie
 Et depuis cinq annĂ©es qu’il est mort â€“ mort de moi â€“ ce sera la premiĂšre fois que, le 6 octobre, je n’irai point porter sur sa tombe les fleurs coutumiĂšres
 Mais ces fleurs, que je n’irai point porter sur sa tombe, j’en ferai un bouquet plus durable et qui ornera, et qui parfumera sa mĂ©moire chĂ©rie mieux que les fleurs de cimetiĂšre [
]. Car les fleurs dont sera composĂ© le bouquet que je lui ferai, j’irai les cueillir une Ă  une, dans le jardin de mon cƓur
 dans le jardin de mon cƓur oĂč ne poussent pas que les fleurs mortelles de la dĂ©bauche, oĂč Ă©closent aussi les grands lys blancs de l’amour
 (JFC, 165-166)

Tant de lyrisme dĂ©tone lorsqu’il est mis en parallĂšle avec le ton presque grinçant qu’est normalement celui de CĂ©lestine. Surtout, la bonne n’entretient aucune rancune envers les deux femmes qui l’ont prostituĂ©e â€“ pour le dire crĂ»ment â€“ Ă  l’homme tuberculeux. CĂ©lestine accepte tacitement que son corps soit rĂ©duit Ă  une marchandise « sacrificielle13 Â» manipulĂ©e par des tiers : cette façon de s’obnubiler par l’amour rapproche CĂ©lestine de ce que Barbara Hilkert Andolsen, Ă  propos de la conception traditionnelle de l’agapĂš, dĂ©signe comme un « other-regard â€“ pressed to the point of significant personal sacrifice14 Â», regard exclusivement consacrĂ© Ă  l’autre, Ă  son ĂȘtre physique, sur le mode de la vĂ©nĂ©ration â€“ mĂȘme posthume, dans ce cas-ci â€“,  et qui permet Ă  CĂ©lestine vĂ©nĂ©rante de s’oublier elle-mĂȘme, d’oublier son propre corps. Les fĂ©ministes chrĂ©tiennes, quant Ă  elles, et toujours selon Hilkert Andolsen, ont invitĂ© Ă  repenser l’agapĂš comme un regard bidirectionnel, Ă  la fois portĂ© sur l’autre et sur soi, regard qui se rapproche davantage des « idĂ©aux Â» des spĂ©cialistes du care15. Mais CĂ©lestine, dont le regard est fatalement dirigĂ© vers l’autre, n’arrive pas Ă  obtenir de rĂ©ciprocitĂ©, ni dans ses relations professionnelles ni dans ses relations amoureuses, et son rapport Ă  l’autre demeure celui du sacrifice.

CĂ©lestine et Mirbeau : Ă©critures du care ?

Dans l’économie du texte, deux Ă©critures se font Ă©cho, en amont et en aval de la fiction : celle de CĂ©lestine fonctionne comme une mise en abyme de l’écriture de Mirbeau, qui elle tient vĂ©ritablement les rĂȘnes, comme nous l’avons vu plus haut. Pour CĂ©lestine, l’écriture devient un premier moyen de se crĂ©er un espace propre qui rĂ©siste Ă  l’aliĂ©nation, et dont l’autonomie semble prĂ©figurer le dĂ©part pour Cherbourg â€“ mĂȘme si ce dĂ©part ne sera pas fait de maniĂšre autonome, mais sous l’égide de Joseph. Cet espace amĂ©nagĂ© dans l’écriture est aussi, concrĂštement, un espace corporel, dans la mesure oĂč il est un souffle et une voix propres : faire entendre l’unicitĂ© de sa voix, pour CĂ©lestine, revient Ă  rompre momentanĂ©ment le cycle du sacrifice, et Ă  faire brĂšche dans la prostitution en Ă©crivant pour soi, quand tout le mĂ©tier consiste Ă  servir les autres. En narrativisant sa vie, donc en acceptant qu’elle est digne d’ĂȘtre racontĂ©e, CĂ©lestine se donne, du mĂȘme coup et de façon performative, une importance que ses maĂźtres lui refusent : « [l]a solitude, ce n’est pas de vivre seule, c’est de vivre chez les autres, chez des gens qui ne s’intĂ©ressent pas Ă  vous, pour qui vous comptez moins qu’un chien Â» (JFC, 136). En ce sens, l’écriture de CĂ©lestine est une sorte de self-care qui pallie l’absence de sollicitude des maĂźtres et qui rappelle cette thĂ©matisation de la voix des femmes qu’on retrouve dans les thĂšses de Carol Gilligan, l’une des fondatrices de l’éthique du care. ParticuliĂšrement critique de la pulsion sacrificielle dans laquelle on tente d’enfermer la femme, Gilligan prĂŽne plutĂŽt â€“ c’est un aspect que Tronto, et les philosophes politiques du care, reprendront â€“ Â» un idĂ©al de responsabilitĂ©16 Â» autant envers soi-mĂȘme qu’envers autrui, ce qui permet Ă  l’individu de s’affranchir du faux dilemme entre « Ă©goĂŻsme et morale17”& Â», ou, dans le cas de la femme, entre Ă©goĂŻsme et sacrifice. Autrement dit, l’éthique du care doit ĂȘtre accompagnĂ©e d’une pratique du self-care qui permet d’abord Ă  la femme d’ĂȘtre responsable d’elle-mĂȘme avant de se mettre Ă  la disposition des autres. On ne trouve pas une façon plus simple de dire autrement qu’il faut « balayer devant sa porte Â» avant d’aller voir la porte des autres. CĂ©lestine, constamment, Ă©choue Ă  suivre cette maxime.

De toute façon, son Ă©criture, comme on a pu le voir, est de l’ordre du subterfuge : ce qu’elle canalise en vĂ©ritĂ©, c’est bien le point de vue de l’auteur Mirbeau, dont l’écriture peut difficilement, quant Ă  elle, ĂȘtre identifiĂ©e Ă  une Ă©criture du care, du moins si l’on reprend les critĂšres Ă©tablis par Marjolaine DeschĂȘnes dans son article sur la possibilitĂ© de « penser une “littĂ©rature care18” Â». Ces critĂšres, qui sont multiples, ont pour trois axes principaux 1) le fĂ©minisme, 2) l’engagement et 3) un devoir mĂ©moriel Ă  l’endroit des classes dominĂ©es19. Or pour Mirbeau, il s’agit bien de faire porter l’attention sur les dĂ©classĂ©s, de « tirer de l’oubli les classes historiquement dominĂ©es et sans voix20 Â». Mais DeschĂȘnes poursuit : « Les Ă©critures du care sont d’abord celles de la juste colĂšre devant la domination ; elles critiquent les injustices et rĂ©clament rĂ©paration pour les dominĂ©.e.s21. Â» Jusqu’ici, Mirbeau correspond : bien sĂ»r, la colĂšre est omniprĂ©sente dans le Journal, infusĂ©e dans chaque rĂ©flexion de CĂ©lestine. Et cette colĂšre, qui prend souvent la forme du dĂ©goĂ»t ou de l’antipathie, est aussi une sorte de « contre-voix Â» de la violence qui rĂ©agit Ă  la violence du quotidien des opprimĂ©s, donc se prĂ©sente comme une « contre-violence Â», ou comme le portrait inversĂ© d’une violence doxique, idĂ©ologique : celle de la bourgeoisie. Ici, la vĂ©ritable voix qui se fait entendre est donc celle d’un Mirbeau travesti : si le mĂ©lange des deux voix, des deux plumes, est actĂ© dĂšs l’avertissement aux lecteurs, les mĂ©canismes de l’énonciation de CĂ©lestine sont encore ceux de Mirbeau journaliste, et le roman reprend les caractĂ©ristiques de « l’éthique de l’écriture Â» mirbellienne, fondĂ©e, comme l’affirme Reverzy, sur « l’affectivitĂ© et la rĂ©activitĂ©22 Â». Le caractĂšre contestataire, « rĂ©actif Â», de CĂ©lestine, est donc bien celui de Mirbeau. Par ailleurs, ce truchement donne lieu Ă  une sĂ©rie de contrastes, de clairs-obscurs intĂ©ressants, par exemple entre le projet indĂ©niablement Ă©thique de l’écriture, qui dĂ©nonce et dĂ©monte la doxa bourgeoise, et son ton destructeur, son souffle nihiliste ; ou encore entre le style soignĂ©, « chĂątiĂ©23 Â», en principe retravaillĂ© par l’écrivain, et l’argot occasionnel, les expressions vulgaires de certains personnages ; contrastes qui reprennent, ou rĂ©flĂ©chissent, dans un jeu supplĂ©mentaire de spĂ©cularitĂ©, la discordance entre l’apparence, la tenue, le corps des bourgeois, et leur Ăąme.

L’écriture de Mirbeau s’occupe donc de faire entendre la colĂšre des opprimĂ©es. Cela ne suffit sans doute pas Ă  en faire une Ă©criture du care. Ailleurs, la correspondance semble beaucoup plus difficile Ă  Ă©tablir. Par exemple, Mirbeau s’arroge le genre du journal dans une tentative de rester dans le prĂ©sent â€“ mĂȘme si ce prĂ©sent est souvent un prĂ©sent de rĂ©trospection. La temporalitĂ© que Mirbeau veut Ă©viter, en bon anarchiste, est celle qui forcerait l’articulation de principes, de projets clairs : le futur. Or cette temporalitĂ© est celle, fondamentale, de l’éthique du care : comme l’écrivent â€“ dĂ©sormais notoirement â€“ Joan Tronto et Berenice M. Fisher :

On the most general level, we suggest that caring be viewed as a species activity that includes everything that we do to maintain, continue, and repair our world so that we can live in it as well as possible. That world includes our bodies, our selves, and our environment, all of which we seek to interweave in a complex, life-sustaining web24.

Or l’idĂ©e de maintenir, de prĂ©server notre monde dans les meilleures conditions est Ă©trangĂšre Ă  la poĂ©tique autant qu’à la politique (anarchique) de Mirbeau. Aussi, le souffle de CĂ©lestine refuse de passer outre la dĂ©nonciation amĂšre et dĂ©sespĂ©rĂ©e : si elle finit par « rĂȘver Â» Ă  son futur, c’est parce que son corps, qu’elle concĂšde comme une marchandise, est entrĂ© dans le champ gravitationnel du corps de Joseph. En outre, CĂ©lestine n’a pas l’esprit collectif : comme son auteur, elle reste profondĂ©ment individualiste, et elle ne comprend, elle ne constate les choses qu’à bout d’expĂ©rience, d’épuisement â€“ sa lorgnette est purement celle d’un sujet de la pĂ©nibilitĂ©, trop occupĂ©e Ă  se dĂ©battre dans la bourbe, dans la sĂ©dimentation du drame qu’est sa vie, pour ĂȘtre sĂ©rieusement politisĂ©e. MĂȘme lorsque CĂ©lestine se marie, le cynisme de Mirbeau triomphe, et au sein de la relation matrimoniale CĂ©lestine rejoue sa condition de soumise : « Au fond, je suis sans force contre la volontĂ© de Joseph. MalgrĂ© ce petit accĂšs de rĂ©volte, Joseph me tient, me possĂšde comme un dĂ©mon. Et je suis heureuse d’ĂȘtre Ă  lui
 Â» (JFC, 452) C’est dire que, mĂȘme dans son propre chez-soi, CĂ©lestine ne trouve pas d’espace habitable oĂč s’exprimer comme ĂȘtre libre et responsable, dotĂ© d’une volontĂ© propre. De la soumission aux maĂźtres exigĂ©e par l’office, CĂ©lestine passe ainsi â€“ marque du fatalisme mirbellien autant qu’esquisse d’une rĂ©flexion sur la condition fĂ©minine â€“ Ă  la soumission nouvelle de la femme mariĂ©e. Par consĂ©quent, peu soucieuse de la prĂ©servation d’une telle condition, la fin n’est ni porteuse d’espoir ni marque d’une rĂ©solution : Ɠuvre ici une logique du moindre mal, qui ne disculpe pas CĂ©lestine de sa faiblesse de femme (son « agapĂš Â»), mais au contraire l’y contraint rĂ©solument : « je n’ai pas la moindre dĂ©fense contre les hommes
 Je serai la constante victime de mon dĂ©sintĂ©ressement et de leur plaisir
 Je suis trop amoureuse, oui, j’aime trop l’amour, pour tirer un profit quelconque de l’amour
 Â» (JFC, 43) De cette faiblesse annoncĂ©e au dĂ©but du roman, qui la pousse Ă  vĂ©nĂ©rer les hommes et Ă  se soumettre entiĂšrement Ă  leur volontĂ©, CĂ©lestine ne s’affranchit jamais ; seuls son environnement et ses conditions matĂ©rielles finiront quelque peu par changer, mais seulement parce que CĂ©lestine a dĂ©cidĂ© de se vendre Ă  Joseph, nouvelle prostitution qui doit signifier, chez la femme pauvre, une « rĂ©ussite25 Â». Dans ce cas, le texte de Mirbeau est loin d’ĂȘtre fĂ©ministe : il Ă©choue donc, selon les critĂšres de DeschĂȘnes, Ă  s’affranchir de la misogynie qui fait de l’écrivain le distributeur des rĂŽles-types et qui fait des textes les miroirs, ou les pendants scripturaux, de l’oppression patriarcale. En clair, Mirbeau « place Â» CĂ©lestine dans sa maison de femme â€“ de « poupĂ©e Â», pour reprendre Ibsen26 â€“,  dans sa maison de sacrifiĂ©e sans recours, et s’éloigne, du mĂȘme coup, drastiquement de ce qui aurait pu ĂȘtre une Ă©criture du care au tournant du siĂšcle.


Références bibliographiques

Corpus primaire

Mirbeau, Octave, Le Journal d’une femme de chambre, Paris, Gallimard, coll. Â» Folio classique Â», 1984 [1900].

Corpus critique

Arnaud, NoĂ«l, « PrĂ©face Â», dans Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, Paris, Gallimard, coll. Â« Folio classique Â», 1984 [1900], p. 7-27.

Arnaud, NoĂ«l, « Notes et variantes Â», dans Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, Paris, Gallimard, coll. Â« Folio classique Â», 1984 [1900], p. 495-507.

Davoult, GaĂ©tan « DĂ©chet et corporalitĂ© dans Le Journal d’une femme de chambre (Quelques remarques) Â», Cahiers Octave Mirbeau, no 11, 2004, p. 115-137.

DeschĂȘnes, Marjolaine, « Les ressources du rĂ©cit chez Gilligan et RicƓur : peut-on penser une littĂ©rature care ? Â», dans Sophie Bourgault et Julie Perreault (dir.), Le care : Ă©thique fĂ©ministe actuelle, MontrĂ©al, Remue-MĂ©nage, 2016, p. 207-227.

Dufourmantelle, Anne, La Femme et le sacrifice : d’Antigone Ă  la femme d’à cĂŽtĂ©, Paris, DenoĂ«l, 2007.

Gilligan, Carol, Une voix diffĂ©rente. La morale a-t-elle un sexe ?, Paris, Flammarion, coll. Â« Champs essais Â», 2019 [1982].

Gruzinska, Aleksandra, « Humiliation, haine et vengeance : le rire de CĂ©lestine Â», Cahiers Octave Mirbeau, no 4, 1997, p. 223-235.

Guiral, Pierre et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siĂšcle, Paris, Hachette, 1978.

Hilkert Andolsen, Barbara « Agape in Feminist Ethics Â», The Journal of Religious Ethics, vol. 9, no 1, p. 69-83.

Kovacshazy, CĂ©cile, « â€œMadame est bonne”. Le personnage de la bonne de Germinie Ă  Emerence Â», dans Sylvie Thorel (dir.), Simples vies de femmes. Un petit genre narratif du XIXe siĂšcle, Paris, HonorĂ© Champion, 2014, p. 83-93.

Lampron, Clarence, « Un claquement de porte qui retentit dans toute l’Europe : Une maison de poupĂ©e d’Henrik Ibsen ou le self-care Â», À votre service, 2021, https://avotreservice.net/notes/maison-poupee (page consultĂ©e le 2 aoĂ»t 2021).

Reverzy, ÉlĂ©onore, « Mirbeau : Ă©thiques de l’écriture Â», LittĂ©ratures, no 64, 2011, p. 143-154.

Tronto, Joan, Moral Boundaries : A Political Argument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993.


  1. Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, Paris, Gallimard, coll. Â« Folio classique Â», 1984 [1900], p. 33. DorĂ©navant, les rĂ©fĂ©rences Ă  cet ouvrage seront indiquĂ©es entre parenthĂšses dans le corps du texte par le sigle JFC, suivi du numĂ©ro de la page.↩

  2. L’un d’entre eux : Pierre Guiral et Guy Thuillier, La vie quotidienne des domestiques en France au XIXe siĂšcle, Paris, Hachette, 1978. Nous lui empruntons sa terminologie, notamment le terme « bonne Â», pour dĂ©signer celle qui « comme son nom l’indique, doit savoir tout faire Â» (p. 19).↩

  3. NoĂ«l Arnaud Ă©crit, dans son Ă©dition du Journal pour la collection Folio de Gallimard, et de façon plus nuancĂ©e, mais sans certitude : « Certes, on ne voit pas Mirbeau, Ă  l’instar de Zola ou plus tard d’Aragon, rĂ©unissant une vaste documentation et recueillant sur place des tĂ©moignages avant d’écrire son roman ; il n’est pourtant pas impossible que Mirbeau se soit renseignĂ© sur les conditions d’existence des gens de maison Ă  son Ă©poque. Â» (NoĂ«l Arnaud, « Notes et variantes Â», dans Octave Mirbeau, Le Journal d’une femme de chambre, op. cit., p. 495.)↩

  4. ÉlĂ©onore Reverzy, « Mirbeau : Ă©thiques de l’écriture Â», LittĂ©ratures, no 64, 2011, p. 145.↩

  5. NoĂ«l Arnaud, « Notes et variantes Â», loc. cit.↩

  6. « Le maĂźtre de Mirbeau ç’a Ă©tĂ© tout simplement sa vie [
]. Â» (NoĂ«l Arnaud, « PrĂ©face Â», dans Octave Mirbeau, op. cit., p. 10.)↩

  7. ÉlĂ©onore Reverzy, loc. cit., p. 152.↩

  8. Le terme, que nous endossons, est choisi par CĂ©cile Kovacshazy pour son article « â€œMadame est bonne”. Le personnage de la bonne de Germinie Ă  Emerence Â», dans Sylvie Thorel (dir.), Simples vies de femmes. Un petit genre narratif du XIXe siĂšcle, Paris, HonorĂ© Champion, 2014, p. 88.↩

  9. C’est Joan Tronto qui insiste sur l’ancrage d’une pratique du care dans des valeurs bien dĂ©finies pour celui qui s’investit dans cette pratique ; principe fondateur d’un « caring well Â» : « To call care a practice implies that it involves both thought and action, that thought and action are interrelated, and that they are directed toward some end. Â» (Joan Tronto, Moral Boundaries : A Political Argument for an Ethic of Care, New York, Routledge, 1993, p. 108.)↩

  10. Aleksandra Gruzinska, « Humiliation, haine et vengeance : le rire de CĂ©lestine Â», Cahiers Octave Mirbeau, no 4, 1997, p. 223.↩

  11. Sur le corps des maĂźtres dans Le Journal, GaĂ©tan Davoult Ă©crit : « Tenter de rĂ©primer, avec quelque moyen que ce soit, les sĂ©crĂ©tions du corps productif aurait pour corollaire de se supposer hors et par-delĂ  le monde, de ne plus se dĂ©signer comme ĂȘtre mais comme entitĂ© absolue et immuable. C’est bien cette volontĂ© qu’auront les maĂźtres et les reprĂ©sentants des classes dominantes dans leur obsession de l’hygiĂšne et de la propretĂ© au sein du Journal, en tentant inexorablement de rĂ©frĂ©ner leurs productions corporelles, ou du moins en les dissimulant et en les rĂ©pudiant vers et sur la personne de la femme de chambre. Â» (GaĂ©tan Davoult, « DĂ©chet et corporalitĂ© dans Le Journal d’une femme de chambre [Quelques remarques] Â», Cahiers Octave Mirbeau, no 11, 2004, p. 118.)↩

  12. Barbara Hilkert Andolsen rĂ©sume ainsi la situation de l’agapĂš au sein de la thĂ©ologique protestante : « The contemporary Protestant discussion of agape has stressed the concept of other-regard often epitomized by self-sacrifice. Emphasis on other-regard has been accompanied by a suspicion toward, or outright condemnation of, self-love. Love defined as sacrifice has been seen as a norm unambiguously appropriate only in private, not public, relationships. A self-sacrifice has been rooted in a Christology which concentrates upon Jesus’ self-immolation upon the Cross. Â» (Barbara Hilkert Andolsen, « Agape in Feminist Ethics Â», The Journal of Religious Ethics, vol. 9, no 1, p. 69.)↩

  13. Sur le sacrifice du corps de la femme (ou de la fille), voir Anne Dufourmantelle, La Femme et le sacrifice : d’Antigone Ă  la femme d’à cĂŽtĂ©, Paris, DenoĂ«l, 2007.↩

  14. Barbara Hilkert Andolsen, « Agape in Feminist Ethics Â», loc. cit.↩

  15. Cf. note 9.↩

  16. Carol Gilligan, Une voix diffĂ©rente. La morale a-t-elle un sexe ?, Paris, Flammarion, coll. Â« Champs essais Â», 2019 [1982], p. 235.↩

  17. Ibid., p. 217.↩

  18. Marjolaine DeschĂȘnes, « Les ressources du rĂ©cit chez Gilligan et RicƓur : peut-on penser une littĂ©rature care ? Â», dans Sophie Bourgault et Julie Perreault (dir.), Le care : Ă©thique fĂ©ministe actuelle, MontrĂ©al, Remue-MĂ©nage, 2016, p. 207-227.↩

  19. « Trois critĂšres des littĂ©ratures care viennent ainsi d’ĂȘtre indirectement mis au jour : fĂ©ministes, engagĂ©es, elles visent Ă  une mĂ©moire juste en tirant de l’oubli les classes historiquement dominĂ©es et sans voix, notamment les femmes. Â» (Ibid., p. 218.)↩

  20. Ibid.↩

  21. Ibid., p. 222.↩

  22. ÉlĂ©onore Reverzy, loc. cit., p. 154.↩

  23. Le mot est de NoĂ«l Arnaud, « Notes et variantes Â», loc. cit., p. 495.↩

  24. Joan Tronto, Moral Boundaries, op. cit., p. 103.↩

  25. « Les embĂȘtements, c’est le plus clair de notre bĂ©nĂ©fice. Pour une qui rĂ©ussit, c’est-Ă -dire pour une qui Ă©pouse un brave garçon ou qui se colle avec un vieux, combien sont destinĂ©es aux malchances, emportĂ©es dans le grand tourbillon de la misĂšre ?... Â» (JFC, 34)↩

  26. À propos d’Une maison de poupĂ©e d’Ibsen, voir Clarence Lampron, « Un claquement de porte qui retentit dans toute l’Europe : Une maison de poupĂ©e d’Henrik Ibsen ou le self-care Â», À votre service, 2021, https://avotreservice.net/notes/maison-poupee (page consultĂ©e le 2 aoĂ»t 2021).↩

Précédent
Précédent

𝐿𝑒 đ·đ‘’Ìđ‘ đ‘’đ‘ đ‘đ‘’Ìđ‘Ÿđ‘’Ì de LĂ©on Bloy : une mystique du 𝑝𝑟𝑒𝑛𝑑𝑟𝑒 𝑠𝑜𝑖𝑛

Suivant
Suivant

Diptyque des relations de 𝑐𝑎𝑟𝑒 dans đ¶â„Žđ‘Žđ‘–đ‘Ÿ 𝑚𝑜𝑙𝑙𝑒 de Paul Adam