Un đđđđ fantomatique : texte et contre-voix dans đđđđđ dâAndrĂ© Breton
Jérémy Champagne
De « Qui suis-je ? » à « qui je hante ? »
La question formulĂ©e dans lâincipit de Nadja dâAndrĂ© Breton, ce « Qui suis-je1 ? » qui donne le ton au rĂ©cit, lâinscrit dâemblĂ©e dans le genre autobiographique. Du moins, elle annonce dĂ©jĂ un « rĂ©cit de soi » : les nombreux pactes de lecture qui suivront, et la concordance onomastique auteur/narrateur/protagoniste (lâun des deux, en tout cas), achĂšveront de le ranger aux cĂŽtĂ©s dâillustres prĂ©dĂ©cesseurs, soit les Ă©crits autobiographiques de Rousseau, de ChĂąteaubriand, de Sand, de Stendhal, de Colette et de Gide, entre autres. Mais dĂšs la deuxiĂšme phrase, Nadja met en Ă©vidence le rapport Ă lâautre que sous-tend le rĂ©cit de soi : cette mutation du questionnement inaugural en un fameux « qui je âhanteâ ? » (N, 9), dĂ©plaçant la lorgnette de lâintĂ©rieur vers lâextĂ©rieur et le monde de lâinvisible, annonce un rĂ©cit de soi hĂ©tĂ©rodoxe, oĂč le soi nâest dâabord quâun « fantĂŽme » de lui-mĂȘme. En effet, sous le signe de son titre mystĂ©rieux, le texte sâintĂ©resse dâabord Ă faire le rĂ©cit de lâautre, voire de « lâautre en soi », cet autre dâabord manifestĂ© dans lâ« ici-bas » (N, 11) du rĂ©cit, et dont lâapprofondissement constitue le sens et la motivation de lâĂ©criture ; cet autre soi quâon peut voir Ă lâĆuvre, en le mettant Ă distance, dans les « manifestations objectives de [lâ]existence » (N, 9). Puis, cet autre sâincarne rapidement en la personne de Nadja, qui, prise dans le dĂ©sir dâun narrateur qui travaille Ă leur fusion en un « nous » androgyne et proverbial2, en sera ultimement rejetĂ©e : la protagoniste finit « folle », comme on le sait, « internĂ©e Ă lâasile de Vaucluse » (N, 159-160).
Les mouvements alternĂ©s de rapprochement et de distanciation entre Nadja, dont la santĂ© mentale est compromise, et le narrateur, donneront son rythme au rĂ©cit, brossant le portrait dâun homme qui, attachĂ© Ă sa « diffĂ©rence », nâen verra pas moins son autonomie Ă©branlĂ©e par la prĂ©sence de lâautre. Ainsi, Nadja est, bien plus quâune quĂȘte identitaire ou une (en)quĂȘte sur soi3, un rĂ©cit de relation et dâinterdĂ©pendance, qui raconte et rĂ©actualise dans sa forme les effets quâa lâexistence dâautrui sur la nĂŽtre, effets permanents qui agissent, parfois, bien aprĂšs la sĂ©paration, comme des « spectres ».
Lâauteur surrĂ©aliste et sa muse
La relation entre Breton et Nadja renvoie, Ă bien des Ă©gards, Ă la relation-type entre artiste et muses qui, au moins depuis lâinvocation hĂ©siodique, met en abyme le processus dâinspiration du poĂšte au sein mĂȘme de son texte4. Moins invoquĂ©e quâĂ©voquĂ©e cependant, la Nadja de Breton nâen est pas moins une muse, et la part quâelle joue dans lâĂ©criture du livre est constamment rĂ©itĂ©rĂ©e par celui-ci, dans sa forme notamment. En effet, nullement rĂ©duite Ă un rĂŽle plus traditionnel de pure inspiratrice, Nadja et ses modes de raisonnement informent la poĂ©tique du texte ; comme lâĂ©crit Bethany Ladimer,
Analogical passages are perceived as « feminine », female personages presumably function in this mode, and [âŠ] Nadja, who is quoted in AndrĂ© Bretonâs text, does seem to have organized her reality in this manner. The « feminine » passages in Nadja are then juxtaposed with more traditional, âmasculineâ prose styles, which seem to appear in order to ensure our awareness of how much time has passed, or of « what happened next »5.
Le texte, malgrĂ© sa prose que Ladimer qualifie de « masculine », est bel et bien construit sur ce mode « analogique » : la premiĂšre partie, avant mĂȘme la rencontre entre les deux protagonistes, fonctionne comme un enchaĂźnement dĂ©sordonnĂ© dâĂ©vĂ©nements a priori sans lien entre eux, sinon quâils sont rĂ©vĂ©lateurs, par les « pĂ©trifiantes coĂŻncidences » (N, 20) dont ils font lâobjet, de ce « monde [âŠ] dĂ©fendu » (N, 19) qui intĂ©resse Breton, et dont les promesses furtives alimenteront son rapport avec Nadja. Par consĂ©quent, il revient au lecteur de se faire, Ă lâexemple de Breton sondant Nadja, un hermĂ©neute du texte, dont la structure nâorganise, en principe, aucun sens explicite : au mystĂšre fĂ©minin â mystĂšre de la muse â qui intrigue et met lâintrigue en forme, rĂ©pond donc un « mystĂšre du texte » organisĂ© Ă dessein par un narrateur qui tente de rejouer lâ« analogique » de Nadja. Câest donc bien dans le « texte », au sens de « tissu » â de maillage structurel â, dans cette broderie du texte littĂ©raire quâest cousue Nadja6. Elle y figure bouche-cousue7, dâailleurs, car la muse surrĂ©aliste, si elle aide Ă voir, ne parle pas dâelle-mĂȘme, mais sâexprime Ă travers ce ventriloque quâest lâĂ©crivain.
En cela, la muse de Breton est assez classique, et sa prĂ©sence au sein du texte est Ă relativiser : elle relĂšve davantage de ce quâAndrea Oberhuber a pu dĂ©signer comme une « prĂ©sence-absence8 » qui, prise Ă©goĂŻstement dans le point de vue exclusif de lâĂ©crivain, lâaide Ă accĂ©der au monde des signes. Nadja, en somme, sert de passage entre Breton et lâĂ©criture : elle nâest rien de plus quâune « intermĂ©diaire artistique9 » : dâailleurs, lorsque cesse son instrumentalisation, Breton se dĂ©sintĂ©resse rapidement dâelle, et leur relation sâachĂšve aussitĂŽt. Car, comme le dit Marcella Munson, « it is [the muse] who mediates the poetâs access to the outside world through her open eyes10 ». Cette prĂ©sence-absence, dynamique qui voile et dĂ©voile successivement, passe par la reprĂ©sentation du corps de Nadja, ou plutĂŽt, par sa non-reprĂ©sentation : ce corps fragmentĂ©, ce sont dâabord, justement, des yeux, un regard11, et ce dĂšs la premiĂšre rencontre : « Tout Ă coup, alors quâelle est peut-ĂȘtre encore Ă dix pas de moi, venant en sens inverse, je vois une jeune femme, trĂšs pauvrement vĂȘtue, qui, elle aussi, me voit ou mâa vu12. » (N, 72) Ce rĂŽle de Nadja en « celle-qui-voit » se traduira aussi dans les photographies qui parsĂšment le livre : la seule photographie de Nadja â comme ĂȘtre corporel - quâon daigne nous montrer est celle de ses yeux ouverts, ses fameux « yeux de fougĂšre » (N, 130), yeux dont le mystĂšre est constamment interrogĂ©, conformĂ©ment Ă ce dĂ©sir de fusion entretenu par Breton â topos13 de lâauctorialitĂ© surrĂ©aliste, comme lâĂ©crit Munson : « [âŠ] the surrealist author must let down his rational guard and allow the Other to enter him in order to receive these signals and reflect on his own subjective process while still remaining in active control of his own text, his own pen, his own muse14 ».
Au regard de cette possession par lâautre, le livre fait le rĂ©cit dâun Ă©chec. En effet, Nadja ne cessera jamais dâĂȘtre un mystĂšre, et restera permĂ©able aux assauts de Breton. Celle qui se dĂ©signe elle-mĂȘme comme inatteignable (N, 111) â comme toute bonne muse, Nadja est de passage dans la vie du poĂšte, mais elle nâest pas prise au vol â, celle qui essaie, contre le sort, de manquer ses rendez-vous (N, 88), celle qui voit mais qui nâest pas vue, cette femme qui quitte ses amants ne donnera jamais vraiment les clĂ©s de son esprit Ă celui qui les demande. Si elle finit par sâabandonner, câest pour mieux Ă©chapper Ă lâemprise intellectuelle du narrateur : abandonnant sa luciditĂ©, sacrifiant tout son ĂȘtre Ă lâautel de son « maĂźtre » (N, 138) Breton, elle en devient, pour lui, inintĂ©ressante, car nâayant que son amour Ă lui offrir, elle perd alors, aux yeux du narrateur, « la conception rĂ©elle de sa [propre] valeur » (N, 159), valeur quâau demeurant Breton lui attribue sans jamais la mettre au parfum.
La relation artiste/muse est donc, au moment oĂč les Ă©vĂ©nements se dĂ©roulent, assez unilatĂ©rale : Breton vampirise Nadja, sans jamais rien lui redonner en retour. Nâoffrant Ă Nadja aucune sollicitude, la traitant Ă©goĂŻstement comme un objet merveilleux quâil peut analyser, câest plus tard, au moment de lâĂ©criture justement, et par le geste de lâĂ©criture mĂȘme, que Breton tentera de lui rendre justice. Le care de Breton se situe donc dans une sorte dâaprĂšs-coup textuel : sâil est dirigĂ© vers un « objet » des sollicitudes (objet perdu quâest le spectre de Nadja), il agit principalement sur celui qui tente de prodiguer ces sollicitudes pour sâallĂ©ger la conscience. Cet allĂ©gement est dâailleurs consolidĂ© par la dimension contractuelle impliquĂ©e dans lâĂ©criture dâun livre qui a Ă©tĂ© commandĂ© par Nadja15 : le care prend la forme dâune promesse tenue, dâun engagement dont la rĂ©alisation doit du mĂȘme coup honorer la muse et libĂ©rer lâartiste.
Le discours anti-médecine : une « contre-voix du care » ?
Breton nâignore donc pas la nature de sa relation avec Nadja ; il nâignore pas sa propre cruautĂ©, pour laquelle il Ă©prouve des remords qui sont longuement exprimĂ©s dans la troisiĂšme partie du livre. Ses remords concernent Ă la fois son attitude de plus en plus distante, voire froide Ă lâendroit de Nadja, et la perte rĂ©sultant de cette attitude. Comme lâĂ©crit Magali Nachtergael, « [l]âĂ©criture de Nadja rĂ©pond Ă un dĂ©sir de rĂ©surrection : la jeune femme internĂ©e, dĂ©sormais hors du monde, nâa de prĂ©sence que dans le livre auquel il incombe de la rĂ©incarner16. » En effet, Ă©crit aprĂšs lâabandon de Nadja par Breton, le livre fait, Ă bien des Ă©gards, un rĂ©cit de la perte, et lâobjet de cette perte, retranchĂ©e derriĂšre les murs de lâasile, revient sporadiquement, elle-mĂȘme comme un spectre (comme une « prĂ©sence-absence », pour reprendre le mot dâOberhuber), dâune part dans les images qui encadrent et complĂštent le rĂ©cit, et dâautre part dans la forme mĂȘme de celui-ci, qui rejoue, comme il est dit plus haut, les modes « analogiques » de la pensĂ©e de Nadja. Le rĂ©cit, son Ă©criture mĂȘme, apparaĂźt donc comme un geste ou une tentative de rĂ©conciliation : comme tout rĂ©cit de soi cherche Ă Ă©tablir une connexion entre le « je » de lâĂ©criture et le « je » des Ă©vĂ©nements racontĂ©s, Nadja tente de rĂ©tablir momentanĂ©ment la connexion qui sâest faite alors entre les deux protagonistes, et, Ă sa maniĂšre ambigĂŒe, de rendre hommage Ă la figure disparue, en sâouvrant Ă ses modes propres dâexpression17. Tentative dâempathie par la forme, peut-ĂȘtre ; en tout cas, Nadja est racontĂ©e mais elle nâest jamais jugĂ©e, ni diagnostiquĂ©e par le narrateur : au contraire, dans la troisiĂšme partie se dĂ©ploie tout un discours antipsychiatrique qui vise Ă la rĂ©habilitation de lâunicitĂ© de Nadja, et Ă la resignification de sa « folie ».
Ce discours anti-institutionnel est lâune des manies du SurrĂ©alisme. En 1928, soit lâannĂ©e mĂȘme de la publication de Nadja, Breton et Louis Aragon vont publier, dans La RĂ©volution SurrĂ©aliste, « Le Cinquantenaire de lâhystĂ©rie », texte polĂ©mique qui dĂ©nonce, entre autres, la pathologisation de lâhystĂ©rie par la mĂ©decine. Il va sans dire que Breton et Aragon sâinscrivent en faux contre cette conception de lâhystĂ©rie : ils y voient plutĂŽt un mode dâexpression qui doit participer du SurrĂ©alisme, Ă la fois « la plus grande dĂ©couverte poĂ©tique de la fin du XIXe siĂšcle18 » et le « moyen suprĂȘme dâexpression19 ». Pourtant Nadja, ce « gĂ©nie libre » (N, 130), Ă©chappe au qualificatif « hystĂ©rique », et de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâunicitĂ© de sa condition est irrĂ©ductible Ă aucun concept ou notion qui soit exprimable en un seul mot. Ce que Breton sâentend pour rejeter dâemblĂ©e, câest le mot de « folle », associĂ© au discours mĂ©dical, discours que lui nâendosse jamais. Au contraire, Ă cette prose impassible et clinique qui range Nadja dans des catĂ©gories, Breton substitue la littĂ©rature, qui permet, dans sa forme, dâopposer une contre-voix â celle de lâanalogie ; une voix plus proche de celle de Nadja, en somme â Ă la voix (autoritaire) de lâinstitution psychiatrique20. Cette contre-voix rend bien hommage au « gĂ©nie libre » de Nadja, en adoptant ses mĂ©thodes et en la maintenant dans lâinsaisissabilitĂ© qui la caractĂ©rise, et que lâhĂŽpital a pour objectif de mĂąter par le diagnostic.
Ainsi, le texte apparaĂźt moins comme une tentative dâemprunter la voix de Nadja, ou de sâexprimer Ă sa place, que comme une ouverture Ă lâunicitĂ© de sa voix par le biais de la littĂ©rature, donc par une sorte dâimitation, de mimĂšsis formelle qui entreprend de faire revivre, sinon le spectre, lâidĂ©e du spectre de Nadja. Sâagirait-il alors de ce quâil conviendrait dâappeler un « care fantomatique », prodiguĂ© Ă une disparue, Ă un fantĂŽme de femme, pour dissiper les remords de Breton, et pour le conforter dans son image de lui-mĂȘme ? Sans doute, toute sollicitude qui arrive trop tard sert moins Ă prendre soin de lâautre quâĂ se soucier de soi-mĂȘme. Quoi quâil en soit, si lâon accepte de jouer le jeu de ce care fantomatique, pour parler dâune sollicitude dont les voies seraient proprement littĂ©raires, Nadja peut alors se concevoir comme un plaidoyer pour la maladie mentale dans toutes ses ramifications, pour lâunicitĂ© de la condition des malades, et pour la nĂ©cessitĂ© dâun geste â ici, dâĂ©criture â qui gĂ©nĂšre, voire qui force lâempathie et la comprĂ©hension, mĂȘme lorsquâil est posĂ© trop tard.
Références bibliographiques
Corpus primaire
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Corpus secondaire
Sur Nadja
LĂ©pine, Viviane, Les images de la folie fĂ©minine dans « Nadja » dâAndrĂ© Breton, mĂ©moire de maĂźtrise, UniversitĂ© McGill.
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Corpus critique
Sur lâimage de la femme chez Breton et les surrĂ©alistes
Caws, Mary Ann, « Seeing the Surrealist Woman : We Are a Problem », Dada/Surrealism, no 18, 1990, p. 11-16.
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Laffitte, Maryse, « Lâimage de la femme chez Breton : contradictions et virtualitĂ©s », Revue Romane, 1976, p. 286-305.
Lequeux, Emmanuelle, « LĂ©onoa Delcourt, la femme qui inspira Nadja Ă AndrĂ© Breton, Le Monde â Magazine, 22 janvier 2021, https://bit.ly/3aHkt70.
Munson, Marcella, « Eclipsing Desire : Masculine Anxiety and the Surrealist Muse », French Forum, vol. 2, no 29, 2004, p. 19-33.
Oberhuber, Andrea, « Par-delà Gala », dans Laurent Déom, Sofiane Laghouati, Corentin Lahouste, Jérémy Lambert et Christophe Meurée (dir.), Faire lien. Autour de Myriam Watthee-Delmotte, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2019, p. 33-38.
Autres
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Breton, André, Arcane 17, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1989 [1945].
Caws, Mary Ann, Surrealism and Women, Cambridge, The MIT Press, 1991.
Freud, Sigmund, La féminité, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothÚque Payot », 2016.
Gilligan, Carol, Une voix différente : la morale a-t-elle un sexe ?, Paris, Flammarion, coll. « Champs : essais », 2019 [1982].
Oberhuber, Andrea, « Sujets Ă la dĂ©rive : Ă©criture du moi et corporĂ©itĂ© chez Claude Cahun, Leonora Carrington et Unica ZĂŒrn », Corps de papier. RĂ©sonances, MontrĂ©al, Nota bene, 2012, p. 81-110.
AndrĂ© Breton, Nadja, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1972 [1928], p. 9. DĂ©sormais N, suivi de la page.â©ïž
« Trouver le lieu et la formule se confond avec possĂ©der la vĂ©ritĂ© dans une Ăąme et dans un corps ; cette aspiration suprĂȘme suffit Ă dĂ©rouler devant elle le champ allĂ©gorique qui veut que tout ĂȘtre humain ait Ă©tĂ© jetĂ© dans la vie Ă la recherche d'un ĂȘtre de l'autre sexe et d'un seul qui lui soit, sous tous les rapports, appariĂ©, au point que l'un sans l'autre apparaisse comme le produit de dislocation d'un seul bloc de lumiĂšre. Ce bloc, heureux entre tous ceux qui parviennent Ă le reconstituer. » Breton, Arcane 17, Paris, Jean-Jacques Pauvert, 1989 [1945], p. 44. Cette tentative de reconstitution, dans Nadja, Ă©chouera.â©ïž
Voir Andrea Oberhuber, « Sujets Ă la derive : Ă©criture du moi et corporĂ©itĂ© chez Claude Cahun, Leonora Carrington et Unica ZĂŒrn », Corps de papier. RĂ©sonances, MontrĂ©al, Nota bene, 2012, p. 81-82.â©ïž
La dĂ©couverte rĂ©cente du cahier de notes de Breton et celui de LĂ©ona Delcourt/Nadja permettent de voir le personnage de la jeune femme aux « yeux de fougĂšre » sous une lumiĂšre moins passive. Voir Emmanuelle Lequeux, « LĂ©ona Delcourt, la femme qui inspira Nadja Ă AndrĂ© Breton, Le Monde â Magazine, 22 janvier 2021, https://bit.ly/3aHkt70, page consultĂ©e le 5 fĂ©vrier 2021.â©ïž
Bethany Ladimer, « Madness and the Irrational in the Work of AndrĂ© Breton: a Feminist Perspective », Feminist Studies, vol. 6, no 1, 1980, p. 175-196.â©ïž
Pour Freud, le « tissage » est intrinsĂšquement liĂ© Ă la fĂ©minitĂ©, et constitue lâapport technique majeur des femmes Ă la civilisation. Voir, Ă ce propos, Sigmund Freud, « La FĂ©minitĂ© », dans La FĂ©minitĂ©, Paris, Payot, coll. « Petite bibliothĂšque Payot », 2016, 240 p.â©ïž
On peut penser au portrait pictural de Valentine Penrose, Winged Domino, rĂ©alisĂ© par Roland Penrose en 1937, qui montre la jeune femme bouche et yeux « cousus » par des papillons.â©ïž
Andrea Oberhuber, « Par-delĂ Gala », dans Laurent DĂ©om, Sofiane Laghouati, Corentin Lahouste, JĂ©rĂ©my Lambert et Christophe MeurĂ©e (dir.), Faire lien. Autour de Myriam Watthee-Delmotte, Louvain-la-Neuve, Presses universitaires de Louvain, 2019, p. 35.â©ïž
Ibid., p. 36.â©ïž
Marcella Munson, « Eclipsing Desire : Masculine Anxiety and the Surrealist Muse », French Forum, vol. 2, no 29, 2004, p. 29.â©ïž
Ă propos de lâimportance des yeux et du regard dans lâesthĂ©tique surrĂ©aliste, voir Katharine Conley, « La nature double des yeux (regardĂ©s/regardants) de la femme dans le surrĂ©alisme », dans Georgiana M. M. Colvile et Katharine Conley (dir.), La femme sâentĂȘte : la part du fĂ©minin dans le surrĂ©alisme, Paris, Lachenal & Ritter, 1998, p. 71-76.â©ïž
Nous soulignons.â©ïž
Le morcellement du corps de la femme est un autre des topoĂŻ du SurrĂ©alisme. Voir, Ă ce propos, Mary Ann Caws, « Seeing the Surrealist Woman : We Are a Problem », Dada/Surrealism, no 18, 1990, p. 11-16.â©ïž
Munson, loc. cit., p. 19.â©ïž
« AndrĂ© ? AndrĂ© ?... Tu Ă©criras un roman sur moi. Je tâassure. Ne dis pas non. Prends garde : tout sâaffaiblit, tout disparaĂźt. De nous il faut que quelque chose reste⊠» (N, 117).â©ïž
Magali Nachtergael, « Nadja. Images, dĂ©sir et sacrifice », Postures, no 7, 2005, p. 161.â©ïž
Il ne sâagit pas seulement de la construction du livre, en lâoccurrence. On notera aussi la place importante faite, vers la fin du rĂ©cit, aux dessins de Nadja, ou encore le catalogage, en citations directes, de ses paroles.â©ïž
Louis Aragon et AndrĂ© Breton, « Le cinquantenaire de lâhystĂ©rie, 1878-1928 », La RĂ©volution surrĂ©aliste, no 11, 1928, p. 20.â©ïž
Ibid., p. 22.â©ïž
La notion de « voix » est associĂ©e aux fondements de lâĂ©thique du care. Dans son ouvrage sĂ©minal In a Different Voice (1982), Carol Gilligan fait entendre des « voix de femmes » qui permettent de rĂ©vĂ©ler une autre conception de la morale et un nouveau rapport au monde, qui sâoppose Ă ceux dĂ©veloppĂ©s par la psychologie comportementale et la justice, jusquâalors exclusivement fondĂ©s sur des expĂ©riences et tĂ©moignages dâhommes. Voir Carol Gilligan, Une voix diffĂ©rente : la morale a-t-elle un sexe ?, Paris, Flammarion, 2019 [1982], 336 p. Ce parasitage de la voix auctoriale masculine par une voix autre â celle de Nadja â est centrale dans le rĂ©cit de Breton.â©ïž