đ‘ƒđ‘Ÿđ‘œđ‘ đ‘Ąđ‘–đ‘Ąđ‘ąđ‘’Ìđ‘’ de Victor Margueritte : l’amour vĂ©nal, ses vices et ses proies

 
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Charles Plet


 

PubliĂ© en feuilleton du 13 juin 1907 au 4 aoĂ»t 1907 dans Le Journal, puis peu de temps aprĂšs en volume chez Fasquelle (repreneur de la librairie Charpentier, Ă©diteur des naturalistes, lesquels sont friands du roman de la prostituĂ©e), ProstituĂ©e est le premier roman Ă©crit seul par Victor Margueritte, c’est-Ă -dire sans la collaboration de son frĂšre Paul, avec lequel il cesse de faire Ɠuvre Ă  deux l’annĂ©e de la prĂ©publication de ProstituĂ©e du fait de certaines divergences politiques1. AccusĂ©e Ă  sa parution d’ĂȘtre une Ɠuvre « pornographique2 Â» par une bonne part des critiques conservateurs contemporains (l’abbĂ© BethlĂ©em n’en est qu’un parmi beaucoup), ProstituĂ©e est dĂ©fini dĂšs l’avant-propos rĂ©digĂ© par l’auteur comme une « Ă©tude, [...] une enquĂȘte approfondie sur la condition de la femme, dans la sociĂ©tĂ© actuelle3 Â», dans un mouvement tout Ă  la fois de poursuite du credo naturaliste (fournir au lecteur une image fidĂšle du rĂ©el) et d’investissement de la trĂšs Ă  la mode « littĂ©rature Ă  idĂ©es Â» – et non « Ă  thĂšse4 Â». Il s’agit en fait de dĂ©voiler via la forme romanesque « engagĂ©e Â» sur les plans politique et social les causes, l’ampleur, le mode de fonctionnement et les consĂ©quences socio-Ă©conomiques et mĂ©dicales dramatiques (pour ne pas dire tragiques) de « l’immense prostitution [fĂ©minine] clandestine Â» (P, 76) en France autour de 1900. Pour ce faire, Victor Margueritte met en relief deux figures fĂ©minines diversement affiliĂ©es au domaine du care, autrement dit au « souci d’autrui Â», qui du fait de la violence sociale masculine et de l’inĂ©galitĂ© des lois basculent du cĂŽtĂ© du vice et de la prostitution fĂ©minine. Parmi d’autres composantes du roman mais au premier rang d’entre elles, ces deux figures « ambivalentes Â» du care (au sens oĂč leur basculement prostitutionnel se heurte continĂ»ment dans le rĂ©cit Ă  leur innocence et Ă  leur virginitĂ© premiĂšres) tĂ©moignent de la volontĂ© Ă  la fois dĂ©monstrative et rĂ©formatrice du roman et de son scripteur.

Deux provinciales Ă  Paris : synopsis du roman

Originaires du mĂȘme village, deux jeunes filles (vierges) de condition modeste, Rose Desbois et Annette Sorbier, viennent Ă  Paris pour y servir : la premiĂšre est femme de chambre chez le banquier, mariĂ© et pĂšre de famille Raoul DumĂšs, et la seconde couturiĂšre chez les richissimes frĂšres (et jouisseurs) Sichelmayer. Suivant un instinct bestial qui rappelle celui des plus grossiers bourgeois du Journal d’une femme de chambre (1900) d’Octave Mirbeau, Raoul DumĂšs fĂ©conde Rose, la renvoie et du mĂȘme coup abandonne son futur enfant, faisant vĂ©ritablement d’elle, selon le (jeu de) mot du peintre Sarrat, « une femme de chambre... Ă  coucher Â» (P, 32). Quelque temps aprĂšs, ce sera au tour d’Annette de devenir la victime de l’homme d’affaires « trompeu[r] Â» (P, 53), puisqu’il se dĂ©sintĂ©ressera d’elle l’instant du coĂŻt passĂ© : loin de prendre sa source dans un quelconque sentiment amoureux, en effet, la courte liaison d’Annette et de DumĂšs est due Ă  la conviction superstitieuse du banquier selon laquelle seul l’accouplement avec une vierge pourrait le dĂ©livrer du « mal Â» qui le touche – la syphilis. Comble de la misĂšre, la jeune fille est arrĂȘtĂ©e pour la deuxiĂšme fois par la police des mƓurs et, aprĂšs un passage au Dispensaire de police oĂč la vĂ©role que lui a transmise DumĂšs est rĂ©vĂ©lĂ©e, est envoyĂ©e Ă  Saint-Lazare, oĂč rĂ©side alors Rose, tombĂ©e quant Ă  elle dans la prostitution de rue. À sa sortie (qui coĂŻncide avec sa guĂ©rison), Annette se jure de se venger des hommes (et tout particuliĂšrement de son premier amant) ; pour ce faire, elle deviendra grande courtisane pour le Paris de la « haute Â». La suite du rĂ©cit dĂ©crira, d’une part, la dĂ©chĂ©ance toujours plus profonde de Rose, laquelle finira par tuer un agent de police dans un bouge et par mourir de ses blessures Ă  l’hĂŽpital ; et, d’autre part, le triomphe de la « terrible Anne d’UmĂšs, lĂąchĂ©e Ă  travers le monde [Ă©lĂ©gant], comme une malfaisante force Â» (P, 460).

Le phĂ©nomĂšne prostitutionnel : le diagnostic et les remĂšdes

Nul doute que Victor Margueritte a souhaitĂ© faire Ɠuvre (scientifique) d’observation de la rĂ©alitĂ© sociale en Ă©crivant ProstituĂ©e : se situant dans la droite lignĂ©e du courant naturaliste, le roman de Margueritte se veut un document authentique sur la condition des femmes au tournant des XIXe et XXe siĂšcles – et pas seulement des femmes pauvres, bien que celles-ci soient privilĂ©giĂ©es dans l’analyse de l’auteur5. C’est ainsi que dĂšs l’ouverture du rĂ©cit est prĂ©sentĂ©e au lecteur la misĂšre et la « fatigue Â» de la jeune Annette, dont « l’interminable journĂ©e traĂźnĂ©e Ă  piquer, et Ă  coudre, coudre, dans l’étuve de l’entresol bas Â» (P, 1. Nous soulignons) n’est Ă©galĂ©e sinon surpassĂ©e que par celle, tragiquement cyclique elle aussi, des prostituĂ©es juchĂ©es sur le trottoir Ă  la sortie de l’atelier, frĂ©quemment arrĂȘtĂ©es par la police des mƓurs avant d’ĂȘtre relĂąchĂ©es – et ce sans fin6. De la mĂȘme maniĂšre sera mis en relief par le rĂ©cit la dure rĂ©alitĂ© du travail de la femme de chambre (puis de la nourrice) Rose et, plus largement et plus longuement, Ă  travers les choix (ou plutĂŽt les contraintes) de vie des personnages des deux jeunes filles tombĂ©es ensuite dans la prostitution, les « dessous sinistres de la prostitution Â» (P, 150) – laquelle peut prendre la forme de la prostitution de rue, des maisons closes et des lupanars (Rose), ou bien celle, plus Ă©lĂ©gante et discrĂšte, de la prostitution demi-mondaine, dans les boudoirs de la grande bourgeoisie et les maisons de rendez-vous (Annette7).

Ce Ă  quoi le rĂ©cit de Margueritte introduit d’abord et avant tout, c’est Ă  la proximitĂ© des mĂ©tiers fĂ©minins « ouvriers Â» du care (femme de chambre, nourrice, couturiĂšre, etc.) avec la prostitution, manifestĂ©e dĂšs les premiĂšres pages par la promiscuitĂ© des lieux de travail des travailleuses : ainsi et pour ne rien dire de la vente des corps qui se pratique Ă  l’intĂ©rieur de l’atelier de couture mĂȘme, Annette se trouve-t-elle rapidement en contact avec la prostitution lorsqu’elle sort du travail, raison pour laquelle elle peut ĂȘtre arrĂȘtĂ©e par erreur Ă  deux reprises par des agents de police. D’une maniĂšre Ă©quivalente, la position de « petit Â» modĂšle Ă  demi-dĂ©couverte (chez Sarrat) puis de femme de chambre (« [...] ... Ă  coucher Â») chez Raoul DumĂšs expose Rose (ainsi que les prostituĂ©es Ă  proprement parler) aux remarques et aux regards concupiscents des hommes :

Ce fruit savoureux serait mĂ»r, bientĂŽt. DĂšs qu’un amateur, cet imbĂ©cile de DumĂšs par exemple, l’aurait cueilli, Sarrat Ă©tait bien sĂ»r qu’alors son tour viendrait. Ses mains tĂąteraient Ă  loisir, ses lĂšvres dĂ©voreraient le beau fruit de chair, dont le premier il avait caressĂ© savamment les rondeurs, sans se soucier d’y imprimer l’ineffaçable talure, l’attouchement qui gĂąte, et qui corrompt. [...] Son instinct de proie Ă©ternelle provoquait l’antique chasseur de bĂȘtes, irritait l’homme. Sarrat grogna, brutal : – Avec ça que tu ne sais pas comment Étienne est fait ? Ah ! ah ! Quand tu ouvriras boutique, ma petite, y a longtemps qu’il te manquera un volet Ă  la devanture !... (P, 27-28)

Notons d’ailleurs que de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, la conjonction femme-argent (qui porte en elle celle qui lui est intrinsĂšquement liĂ©e, femme-prostitution) est sans cesse rĂ©affirmĂ©e par le rĂ©cit, plus particuliĂšrement par ceux qui font le rĂ©cit, c’est-Ă -dire par ceux qui sont l’origine et la fin des trajectoires fĂ©minines susmentionnĂ©es : les hommes. ExceptĂ© la trinitĂ© mĂ©dicale Ă©tudiĂ©e plus loin (composĂ©e de Montal, de Dormoy et de Hurtrel), c’est en effet l’ensemble des hommes mis en scĂšne dans le rĂ©cit qui associent les femmes Ă  des objets monnayables. C’est Georges Sichelmayer guidant vers son magasin de haute couture « tout un gibier fĂ©minin, hypnotisĂ© d’élĂ©gances, [...] La vie et l’honneur des femmes n’avaient pour lui que ce successif aspect : le baiser d’abord, la note ensuite Â» (P, 36) ; c’est encore lui qui, avec son camarade DumĂšs, « avait jaugĂ© dĂšs leur entrĂ©e [dans la salle privĂ©e du restaurant] les deux marchandises [Annette et Clo] Â» (P, 948) ; c’est le financier PoyĂšre qui, en Ă©change de « quelques bonnes petites opĂ©rations [financiĂšres] Â», pourra avec Clo « se rĂ©gale[r] dans les prix doux Â» (P, 979) ; c’est enfin les Apaches L’Assommeur et Le GrĂȘlĂ©, lesquels, habituĂ©s du cabaret et de la boisson, poussent La Caille (la derniĂšre Rose, dĂ©chue et rĂ©voltĂ©e) Ă  « se prĂȘt[er] Ă  toutes [les tĂąches], selon l’échelle des minimes sommes, la fantaisie des lubricitĂ©s [masculines]... Â» (P, 466). C’est donc l’instinct sĂ©culaire, tout Ă  la fois prĂ©dateur et avide des hommes (et, pour le « communisant10 Â» Margueritte, tout particuliĂšrement des hommes argentĂ©s et puissants) qui peut Ă  tout moment entraĂźner les femmes, fussent-elles jeunes ou plus ĂągĂ©es, riches, petites-bourgeoises ou pauvres, du cĂŽtĂ© de l’abyssale prostitution, sous toutes ses formes. C’est ce que laisse entendre la mĂ©taphore globale (elle parcourt l’Ɠuvre d’un bout Ă  l’autre) de la prostitution qualifiĂ©e d’» ocĂ©an Â» (P, 2) (avec ses vagues) ou de « mer11 Â» (l’image du « ruisseau12 Â» n’étant, quant Ă  elle, employĂ©e que lorsqu’il est question de la « basse Â» prostitution, autrement dit souvent) : loin de ne toucher que des ĂȘtres pauvres, jeunes et naĂŻfs, c’est en rĂ©alitĂ© toute la gamme des Ăąges et des classes sociales au fĂ©minin qui est touchĂ©e par la vague prostitutionnelle – en tĂ©moigne, pour ne citer qu’elle, la figure ambivalente de la petite bourgeoise Mme Ardant, mĂšre de l’idĂ©ale Gabrielle13. Et, pour filer l’image ocĂ©anique ou « fl[uviale] Â» (P, 493), on observera avec le rĂ©cit deux espĂšces d’ĂȘtres sociaux constituant le monde : les pĂ©chĂ©s qui « s’enferrent Â» Ă  l’» hameçon14 Â» (les femmes, et de plus en plus tragiquement Ă  mesure que l’on se dirige vers les plus dominĂ©es dans l’espace social), et les pĂ©cheurs – les hommes puissants et, dans une mesure plus faible, les ouvriers, qui en utilisant et en avilissant les femmes apparaissent comme des « brochets gloutons Â», des « espĂšce[s] vorace[s] Â» (P, 354).

FidĂšle dans ProstituĂ©e au cahier (stylistique) des charges naturaliste, et dans le but de fournir au lecteur bourgeois et petit-bourgeois un aperçu vĂ©ridique de la vie et des pensĂ©es des prostituĂ©es, Victor Margueritte multiplie dans son roman l’emploi du discours indirect libre et du parler populaire, permettant aux personnages fĂ©minins de parler pour elles-mĂȘmes et au lecteur de se rapprocher sur le plan psychologique et affectif d’individus habituellement invisibles, dont il mĂ©prise le plus souvent les vices (alcoolisme, tabagisme, etc.) sans en connaĂźtre les causes profondes :

Encore, s’il n’y avait que l’amour [dans les lupanars]... mais le terrible, c’était de boire... Amers, bocks, absinthes, champagne, toutes ces sales drogues qui vous empoisonnaient et qu’il fallait, de midi au soir, du soir Ă  l’aube, absorber comme un entonnoir !... Car ce n’était pas assez que d’ĂȘtre une machine Ă  plaisir, il fallait encore, dans ces baraques, devenir une machine Ă  consommations, boire sans soif, et sans rĂ©pit... (P, 357)

En cela (et suivant le Zola de L’Assommoir), Margueritte se montre ouvert Ă  une « Ă©thique de l’attention Ă  l’autre15 Â», rendue plus efficace (c’est-Ă -dire persuasive) au niveau de la rĂ©ception lectoriale par la douceur et la bontĂ© (mais aussi par la virginitĂ© primitive rapidement abusĂ©e) des deux jeunes femmes dont il raconte les successives et fatales « injustices16 Â». En effet la « finesse de l’attention portĂ©e aux Ă©motions17 Â» via le discours indirect libre des femmes perdues est, avec le choix gĂ©nĂ©ral du sujet (la prostitution) et des personnages focalisĂ©s (des jeunes filles vulnĂ©rables), un indice qui nous met sur la voie d’une Ă©thique romanesque du care. Celle-ci tout Ă  la fois se renforce et est rendue plus visible encore par les rĂ©guliĂšres entorses Ă  l’objectivitĂ© naturaliste dont se permet la voix narrative. Par exemple lorsqu’elle affirme peu aprĂšs l’ouverture du rĂ©cit que

[c]ette dure exploitation ouvriĂšre [des employĂ©es de Sichelmayer, dont Annette fait partie], qui pour enfler plus vite la fortune du patron, extĂ©nuait des malheureuses, ce surmenage qui, en lingeries compliquĂ©es, en broderie de fĂ©es, en colifichets de vanitĂ© et de luxe, ruinait des vies, afin d’en parer d’autres, Annette ne songeait pas encore Ă  s’en indigner. (P, 4-5)

Et, alors que Rose commet le meurtre d’un policier peu de temps avant le terme du rĂ©cit, la voix narrative adopte toujours un discours compassionnel Ă  l’égard des victimes, mĂȘme inconnues :

La balle allait frapper, en pleins poumons, un des deux agents qui maintenaient Casse-tĂȘte [le dernier amant de Rose]. Le brave homme s’affalait, crachant le sang, sous le coup mortel, le mystĂ©rieux contre-coup du destin qui, Ă  travers lui, allait blesser au loin une innocente femme, attendant au logis, une petite fille qui tĂ©tait encore... (P, 477)

Cet Ă©gard, cette compassion Ă  l’égard des « humbles18 Â» (qui sont aussi les opprimĂ©es) voisine avec une colĂšre et une rĂ©volte Ă  l’égard des hommes et des lois juridico-sociales diversement partagĂ©es par Rose et Annette – coĂŻncidence des voix (narrative et des personnages fĂ©minins du care) qui renforce et rĂ©vĂšle davantage encore l’éthique romanesque susmentionnĂ©e. Ainsi beaucoup d’annĂ©es s’écoulent avant que Rose ne prenne pleinement conscience de sa rĂ©volte (misĂšre de la dominĂ©e Ă  qui la sociĂ©tĂ© fait accepter au moins temporairement la « domination masculin[e]19 Â»), privilĂ©giant jusque-lĂ  une posture typiquement fĂ©minine de rĂ©signation Ă  la souffrance (« S’indigner, Ă  quoi bon ?20 Â», souffle-t-elle lorsqu’elle se fait chasser de la maison de DumĂšs). Et encore sa rĂ©volte qui Ă©clate quelques mois avant sa mort se veut-elle mĂ©diate, La Caille se reposant sur « son homme21 Â» (L’Assommeur) pour se venger du mal que lui a fait la sociĂ©tĂ© (dont les lois sont faites par des hommes pour les hommes) et les clients masculins :

Rose se laissait couler, Ă  pic, dans ce bonheur nouveau. Son Ă©ternelle faiblesse opprimĂ©e, ses besoins de tendresse contenus et meurtris, presque du jour mĂȘme oĂč le caprice brutal de l’homme l’avait faite femme, son dĂ©sir inassouvi de protection et de pitiĂ©, tout l’élançait, du fond de son Ăąme d’esclave, vers le doux et violent maĂźtre, cette rude chair qui, aprĂšs tant d’autres, pour la premiĂšre fois la pĂ©nĂ©trait tout entiĂšre, la possĂ©dait. Et elle n’aimait pas seulement l’Assommeur parce qu’il Ă©tait beau et fort, la pĂ©trissait Ă  son empreinte, mais parce qu’elle communiait en lui, le rĂ©voltĂ©, de toute sa rĂ©volte, de sa haine contre l’individu, mĂ©chant et vil, contre la sociĂ©tĂ© pire. [...] elle chĂ©rissait, dans le souteneur, le mĂąle dressĂ© contre les autres mĂąles, celui dont le poing lourd, dont le surin aigu la dĂ©fendaient, et la vengeaient. L’Assommeur Ă©tait venu Ă  l’heure propice, Ă  cet instant oĂč dans la vie des filles tombĂ©es au plus bas ruisseau, le « petit homme Â» apparaĂźt, comme une nĂ©cessitĂ© sentimentale, un inĂ©luctable produit. (P, 462)

Annette, Ă  l’inverse, comprend dĂšs son abandon par DumĂšs et son sĂ©jour au Dispensaire puis Ă  Saint-Lazare l’iniquitĂ© des lois et la corruption (elle-mĂȘme corruptrice) des mƓurs masculines :

Ce coup d’assommoir, aprĂšs le froissement terrible de la premiĂšre rafle, elle le porterait toute sa vie, inoubliablement, si elle vivait. VoilĂ  donc de quelle boue Ă©tait fait l’homme qu’elle avait cru aimer ! Sans doute, malgrĂ© des exceptions, comme Dormoy, Montal, tous Ă©taient ainsi. Et la sociĂ©tĂ© n’était que la somme de leurs Ă©goĂŻsmes armĂ©s, une bande organisĂ©e pour le triomphe de la brutalitĂ© sanglante, le rĂšgne de la force. Juges, mĂ©decins, fonctionnaires, tous n’étaient que le masque du mĂȘme visage. Tous grimaçaient la mĂȘme fausse bontĂ©, impitoyable. Tous n’exerçaient, sous prĂ©texte d’équitĂ©, de soulagement, d’ordre, que la sauvagerie dominatrice de l’instinct. La joie des uns Ă©tait faite de la souffrance des autres ! (P, 239-240)

Jurant de se venger (« Elle aurait son heure. Elle se vengerait22 Â»), elle parviendra Ă  se faire courtisane adulĂ©e et Ă  utiliser l’instinct sexuel des hommes Ă  son profit pour les humilier (elle refusera toujours de se donner au financier juif Linbaum), les manipuler (elle couche avec le riche Lauvroix afin d’empĂȘcher son mariage avec la fille de Raoul DumĂšs et ruiner ce dernier) ou s’accaparer leur argent (Linbaum, Lauvroix ainsi que la « proie dorĂ©e23 Â» Jean Bearst dĂ©penseront des sommes folles pour entretenir l’élĂ©gante). C’est dire que contrairement Ă  Rose, qui reste dominĂ©e jusqu’à sa mort (aprĂšs ses nombreux retours dans « l’étable commune du DĂ©pĂŽt Â», elle finit dans la « fausse commune24 Â» des misĂ©reux), Annette triomphe en dominant (seule) Ă  son tour tous les hommes qu’elle rencontre, et contribue activement Ă  la ruine et Ă  la mort de son ennemi jurĂ© Raoul DumĂšs. Difficile d’ailleurs de ne pas voir dans ces actes accomplis de vengeance fĂ©minine jamais condamnĂ©s par le rĂ©cit (les valeurs portĂ©es par la voix narrative et les diffĂ©rentes voix « positives Â» du texte rejetant sans dĂ©tour la conciliation Ă©vangĂ©lique) et dans les multiples malheurs qui touchent successivement DumĂšs une maniĂšre d’empĂȘcher le triomphe fictionnel final du Mal (incarnĂ© en premier lieu par DumĂšs) sur le Bien (incarnĂ© en premier lieu par Annette). Frein narratif et axiologique qui n’est pourtant pas tout Ă  fait opposĂ© Ă  la vraisemblance recherchĂ©e par les adeptes du naturalisme puisque la mort de DumĂšs et de ses proches est causĂ©e par son affliction syphilitique.

L’utilisation par le rĂ©cit de la maladie de la syphilis a en effet plusieurs avantages : celui, d’abord, de participer Ă  la « documentation25 Â» mĂ©dicale, voire sociale, de l’Ɠuvre ; celui, ensuite, de crĂ©er Ă  travers la transmission syphilitique des liens entre les actants du roman (et donc de participer, au niveau de la macro-organisation, Ă  la structuration du systĂšme des personnages) ; celui, enfin, de se dĂ©barrasser de l’homme-Mal qui se montre indiffĂ©rent Ă  la mort de son nouveau-nĂ© syphilitique Jacques et qui se dĂ©sintĂ©resse de sa femme et de son deuxiĂšme fils mourant (Georget), tous deux contaminĂ©s par la faute de DumĂšs. Et, bien sĂ»r, la maladie de la vĂ©role permet Ă  l’auteur qui se fait ici disciple tardif du naturalisme de faire intervenir le personnel classique de la mĂ©decine (religieuses hospitaliĂšres, mĂ©decins du Dispensaire, professeurs de mĂ©decine), dont seuls les individus masculins sont qualifiĂ©s positivement par la voix narrative et les « hĂ©roĂŻnes Â». Ainsi, tandis que la grande majoritĂ© des personnages masculins de ProstituĂ©e sont globalement dĂ©valorisĂ©s par le rĂ©cit (les financiers sont prĂ©sentĂ©s comme des bĂȘtes sauvages et des lĂąches ; les Apaches comme des bandits et les prĂȘtres comme des illusionnistes26), la trinitĂ© du care mĂ©dical Montal-Dormoy-Hurtrel est au contraire placĂ©e en position de modĂšle de bienveillance. Ils sont l’incarnation de la Science louĂ©e dans l’avant-propos de l’ouvrage et, au moins pour deux d’entre eux (Montal et son double Dormoy, professeur et disciple spĂ©cialisĂ©s dans l’étude de la syphilis), apparaissent comme les porte-paroles de l’auteur. Figures de savants et de praticiens lĂ©gitimes (mĂȘme le sceptique DumĂšs reconnaĂźt in fine l’expertise de Montal), ils apparaissent rĂ©guliĂšrement dans le rĂ©cit afin de mettre au jour et de proposer via leurs voix autorisĂ©s (c’est-Ă -dire faisant autoritĂ©) des « vĂ©ritĂ©s Â» sociales douloureuses et leurs remĂšdes. Ainsi Hurtrel n’est-il en rĂ©alitĂ© qu’un personnage-prĂ©texte placĂ© sur la scĂšne narrative pour poser la seule question qui vaille une fois le diagnostic Ă©tabli par Montal et Dormoy (et par le rĂ©cit) : « â€“ Quel remĂšde ? » (P, 391). Celui-ci est Ă  plusieurs reprises explicitĂ© au cours du roman :

– La rĂ©pression ! RĂ©primer, vouloir rĂ©primer la prostitution !... Comme si, de cette plaie au flanc de l’humanitĂ©, un seul n’est pas responsable ? L’homme !... [...] La peur de la syphilis, cause avouĂ©e de ces mƓurs barbares, mais au lieu d’en dĂ©truire le prĂ©jugĂ©, dans la masse, – on l’ancrait, par de telles mesures ! Les trois cents maladies annuellement soignĂ©es, de force, Ă  Saint-Lazare se chiffraient en balance par des milliers de syphilis dissimulĂ©es, qui traĂźtreusement propageaient le virus. Le remĂšde devenait pire que le mal. [...] – Que l’assistance publique et la charitĂ© privĂ©e ouvrent toutes larges les portes des hĂŽpitaux, des cliniques !... Qu’on multiplie les consultations et les mĂ©dicaments gratuits... Enfin que l’enseignement public, que le façonnement privĂ© apprennent Ă  tous l’anatomie, sans rĂ©ticences !... [...] quand on cessera, dans la famille et Ă  l’école, de considĂ©rer comme « parties honteuses Â» les organes sacrĂ©s de la vie, – alors bien vite, Ă  son tour, la syphilis cessera d’ĂȘtre une maladie honteuse ! Dormoy approuva, d’un hochement de tĂȘte. Seules l’aberration catholique, une mentalitĂ© de cloĂźtres avaient pu, durant des siĂšcles, faire sĂ©vir ce flĂ©au dans l’ombre, comme une dĂ©gradante rançon du pĂ©chĂ© de la chair. Non ! non ! plus ils y pensaient, c’était de l’air, – l’air pur, l’air sain de la science et de la bontĂ©, c’était de la libertĂ©, de la Vie qu’il fallait !... (P, 495-497)

Bref, la solution au vaste problĂšme de la prostitution et des maladies vĂ©nĂ©riennes dans la France de l’ùre 1900 ne se trouvera pas dans l’Évangile chrĂ©tien (remis en cause par la Science), mais dans « l’Évangile socialiste Â» (P, 392) adossĂ© Ă  une meilleure Ă©ducation Ă  l’intĂ©rieur de la famille de l’avenir, laquelle sera construite de telle maniĂšre (sans dot, avec des jeunes gens pauvres du mĂȘme Ăąge qui s’aiment et se respectent) qu’elle ne poussera pas l’homme dans les bras des prostituĂ©es et la femme dans ceux de son amant. Dans ProstituĂ©e, c’est le mariage d’amour qui unit les peu fortunĂ©s Gaby et Dormoy qui incarne une telle famille idĂ©ale (et largement idĂ©alisĂ©e), tandis que le mariage de convenance de Liette DumĂšs avec le richissime Marsac est, on s’en doute, appelĂ© du fait de ses motivations Ă©goĂŻstes Ă  ralentir « l’avenir de la race Â» (P, 490).

*

TrĂšs proche du roman Ă  thĂšse tel que dĂ©fini par Susan Suleiman27, ProstituĂ©e introduit le·la lecteur·trice aux « vices cachĂ©es de cette sociĂ©tĂ© [celle de la France du dĂ©but du XXe siĂšcle] Â» (P, 463) Ă  travers la mise en narration de la vulnĂ©rabilitĂ© et de la fragilitĂ© (qui sont, rappelons-le, « l’objet du care28 Â») de deux jeunes femmes persĂ©cutĂ©es du fait du systĂšme familial et social en vigueur au tournant du siĂšcle, en premier lieu façonnĂ© par et profitable aux hommes riches – c’est-Ă -dire, osons-le mot comme le fit la critique contemporaine, aux « capitalistes29 Â». Car s’il est vrai que le rĂ©cit donne Ă  voir plus que l’exploitation des femmes par les hommes – puisque les femmes proxĂ©nĂštes de tous les Ăąges et de toutes les conditions exploitent Ă©galement sans remords leurs « ouailles Â» –, cette exploitation gĂ©nĂ©ralisĂ©e des unes par les autres prend nĂ©anmoins sa source dans l’instinct sexuel insatiable des hommes, qui produit et perpĂ©tue le proxĂ©nĂ©tisme au fĂ©minin, et plus largement pervertit l’esprit des femmes30. En somme, outre les choix thĂ©matiques, narratologiques et stylistiques dĂ©jĂ  mentionnĂ©s, c’est le souci d’égalitĂ© entre les sexes rĂ©affirmĂ© sans cesse par Montal et Dormoy ainsi que leur « foi Â» en la « justice sociale Â» et « en l’avenir Â» (P, 492 et 8431) positif du groupe social composĂ© par les femmes (et donc aussi par les prostituĂ©es, qui ne sont que le rĂ©sultat douloureux de la domination masculine) qui achĂšvent de façonner une Ă©thique romanesque du care spĂ©cifique, laquelle rapproche Victor Margueritte du mouvement fĂ©ministe contemporain dont il se plaĂźt Ă  mentionner positivement certaines des Ɠuvres de bienfaisance – l’» Ć’uvre libĂ©ratrice32 Â» louĂ©e par Rose est dirigĂ©e par la fĂ©ministe Mme de Sainte-Croix, connaissance de l’auteur33. À quand donc l’heure oĂč 

[nous] cesserons [...] de nous voiler Ă  nous-mĂȘme le vrai visage de la femme, sous ces deux masques [de l’esclave et de la maĂźtresse] ?... Quand comprendrons-nous qu’elle ne cessera d’ĂȘtre l’ennemie que si nous savons d’abord, Ă  force de loyautĂ© et de tendresse, en faire l’amie ?... Quand y aura-t-il enfin, des droits et des devoirs Ă©gaux, pour toutes les crĂ©atures humaines ?... Une seule morale, une seule justice ?... (P, 499)

Références bibliographiques

Corpus primaire
Margueritte, Paul et Victor, Quelques idĂ©es, 4e Ă©d., Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1905.
Margueritte, Paul et Victor, Mariage, Divorce, Union libre, Lyon, SociĂ©tĂ© d’éducation & d’action fĂ©ministes, 1906.
Margueritte, Victor, Prostituée, Paris, E. Fasquelle, 1907.
Margueritte, Victor, Pages choisies, Paris, Flammarion, 1936.

Corpus critique
Avril de Sainte-Croix, Mme, Le fĂ©minisme, Paris, V. Giard & E. BriĂšre, 1907, « avant-propos Â» par Victor Margueritte, p. I-VII.
Bethléem, Louis, La littérature ennemie de la famille. Les faits. Les droits. Les devoirs, Paris, Bloud et Gay, 1923.
DevaldĂšs, Manuel, CroĂźtre et se multiplier, c’est la guerre !, Paris, G. Mignolet & Storz, 1933, « prĂ©face Â» par Victor Margueritte, p. 7-10.
Hamon, Philippe, Texte et idéologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1984.
Nocher, Jean TĂ©moignage de la jeunesse qui vient, Paris, Éditions Fustier, 1937, « prĂ©face Â» par Victor Margueritte, p. 11-14.
Snauwaert, MaĂŻtĂ© et Dominique HĂ©tu, « PoĂ©tiques et imaginaires du care Â», Temps ZĂ©ro [En ligne], no 12, 2018, non paginĂ©. URL : https://tempszero.contemporain.info/document1650.
Stora-Lamarre, Annie, L’Enfer de la IIIe RĂ©publique : censeurs et pornographes, 1881-1914, Paris, Imago, 1989.
Suleiman, Susan Rubin, Le roman Ă  thĂšse ou l’autoritĂ© fictive, Paris, Presses Universitaires de France, 1983.
« Sur la Jeune Fille, la Femme et l’Amour Â». Ainsi parla
 Victor Margueritte. Paroles recueillis par Maurice Roya, Paris, Éditions Nilsson, 1929.


  1. « â€“ Quelles furent les raisons de votre sĂ©paration [demande Maurice Roya] ? â€“ Nous avons cessĂ© [moi, Victor Margueritte, et mon frĂšre Paul Margueritte] notre collaboration d’un commun accord : mon orientation politique Ă©tait si diffĂ©rente de celle de mon frĂšre ! Â» : « Sur la Jeune Fille, la Femme et l’Amour Â». Ainsi parla
 Victor Margueritte. Paroles recueillis par Maurice Roya, Paris, Éditions Nilsson, 1929, p. 23.↩

  2. L’accusation de « pornographie Â» d’une Ɠuvre (et de son auteur·e) est une attaque constante de la part des milieux conservateurs (en particulier catholiques) du tournant des XIXe et XXe siĂšcles Ă  l’encontre des Ɠuvres se revendiquant ouvertement ou non des principes naturalistes. Voir notamment Louis BethlĂ©em, La littĂ©rature ennemie de la famille. Les faits. Les droits. Les devoirs, Paris, Bloud et Gay, 1923 et Annie Stora-Lamarre, L’Enfer de la IIIe RĂ©publique : censeurs et pornographes, 1881-1914, Paris, Imago, 1989.↩

  3. Victor Margueritte, ProstituĂ©e, Paris, E. Fasquelle, 1907, « Avant-propos », p. I. DorĂ©navant, les rĂ©fĂ©rences au roman seront indiquĂ©es par le sigle P, suivi de la page et placĂ©es entre parenthĂšses dans le corps du texte (sauf lorsque la lisibilitĂ© s’en trouve rĂ©duite).↩

  4. C’est du moins ainsi que l’imagine Victor Margueritte parlant de son roman Ă  thĂšse Les Deux Vies (1902) : « Nous publiĂąmes les Deux Vies [...] Roman Ă  thĂšse ? Pas du tout. Exemple de vie oĂč les situations, les caractĂšres laissent le lecteur libre de conclure » : Paul et Victor Margueritte, Quelques idĂ©es, 4e Ă©d., Paris, Plon-Nourrit et Cie, 1905, p. 15. Notons que la plupart des Ă©crivains de la pĂ©riode refusent l’étiquette de « roman Ă  thĂšse » pour dĂ©signer leurs romans (c’est le cas par exemple de Paul Bourget, d’Édouard Rod ou de RenĂ© Bazin).↩

  5. Ainsi suit-on Ă©galement la triste vie d’une riche femme trompĂ©e (Mme DumĂšs) et celle, plus joyeuse, d’une modeste femme trompeuse (Mme Ardant).↩

  6. L’histoire pathĂ©tique (tragique ?) de Rose (et de la plupart des prostituĂ©es de rue prĂ©sentĂ©es dans le roman, telle Lucie l’Auvergnate) est Ă©loquente Ă  cet Ă©gard, puisque la jeune femme est condamnĂ©e au mĂȘme parcours cyclique pendant une grande partie du rĂ©cit (prostitution dans la rue -> arrestation par la police des mƓurs -> visite au DĂ©pĂŽt -> visite au Dispensaire -> prison de Saint-Lazare -> Sortie de prison -> prostitution dans la rue -> arrestation par la police des mƓurs, etc.). Il semblerait ainsi que l’histoire romanesque des prostituĂ©es pauvres constitue une dĂ©rogation fictionnelle Ă  la loi du ProgrĂšs des sociĂ©tĂ©s souvent rappelĂ©e par Victor Margueritte : « L’histoire [humaine] [n’est pas] un piĂ©tinement sur place, un vain tournoiement oĂč les cycles Ă  venir seront pareils aux cycles rĂ©volus » (Paul et Victor Margueritte, Mariage, Divorce, Union libre, Lyon, SociĂ©tĂ© d’éducation & d’action fĂ©ministes, 1906, p. 1).↩

  7. Le passage (qui coĂŻncide Ă  chaque fois avec la transformation du personnage : « Insensiblement, une nouvelle Rose, sous l’enveloppe charmante de l’ancienne, s’était formĂ©e » : Victor Margueritte, ProstituĂ©e, op. cit., p. 225 ; « [...] il n’était pas une place de son corps [celui d’Annette] qui ne fĂ»t nouvelle, d’un autre ĂȘtre » : ibid., p. 285) des personnages fĂ©minins dans diverses strates (« supĂ©rieures » ou « infĂ©rieures ») de la prostitution permet Ă  l’auteur de dĂ©crire l’évolution, les caractĂ©ristiques propres et les diffĂ©rences de chacun de ces types de « maison », autrement dit autorise la « ventilation des documents sociaux jugĂ©s [les] plus importants » : Philippe Hamon, Texte et idĂ©ologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1984, p. 72.↩

  8. CouturiĂšre dans l’atelier des frĂšres Sichelmayer et amie d’Annette (qu’elle invite Ă  se prostituer), Clo s’adonne elle aussi (et bien avant Rose et Annette) Ă  la prostitution. Soutenue par Georges Sichelmayer et PoyĂšre, elle deviendra Ă  l’instar de son amie une Ă©lĂ©gante connue dans la « haute » et entretenue par de riches hommes d’affaires.↩

  9. Au sens oĂč, Ă  ce moment du rĂ©cit, Clo ne « coĂ»te » pas aussi cher Ă  entretenir que « les cocottes les plus renommĂ©es » (Victor Margueritte, ProstituĂ©e, op. cit., p. 97).↩

  10. Victor Margueritte, Pages choisies, Paris, Flammarion, 1936, « Avant-propos » par C. G., p. IX.↩

  11. « Ah ! ah ! RĂ©glementer la prostitution... [s’écrie Montal] autant vouloir prendre la mer dans un filet » : Victor Margueritte, ProstituĂ©e, op. cit., p. 492.↩

  12. Voir p. 16, 89, 150, 188, 387, 388, 393, 414 et 462 – pour ne citer que ces pages.↩

  13. La femme du petit bourgeois M. Ardant se prostitue rĂ©guliĂšrement dans des chics maisons de rendez-vous sans que personne ne s’en aperçoive (son Ă©poux seul se doute sans vouloir l’admettre des raisons de ses absences rĂ©pĂ©tĂ©es).↩

  14. Ibid. p. 354. Voir aussi p. 300 : « C’était [Mme Cuvelle] l’ex-propriĂ©taire du Louvois, une des tolĂ©rances haut cotĂ©es de Paris. Elle s’était retirĂ©e des affaires, aprĂšs fortune faite, un joli million de cĂŽtĂ©. Mais, reprise par le besoin, la hantise de sa caque, elle avait remordu Ă  l’hameçon : [...] avec une maison de rendez-vous cette fois, – il fallait bien suivre la mode !... ».↩

  15. MaĂŻtĂ© Snauwaert et Dominique HĂ©tu, « PoĂ©tiques et imaginaires du care », Temps ZĂ©ro [En ligne], consultĂ© le 10 aoĂ»t 2020, n° 12, 2018, non paginĂ©. URL : https://tempszero.contemporain.info/document1650.↩

  16. Les vocables « justice » et « injustice » saturent ProstituĂ©e. Notons par ailleurs que le titre de la quatriĂšme partie du roman (dans le roman-feuilleton, car l’ouvrage en volume respecte quant Ă  lui les usages du roman naturaliste en matiĂšre de titrologie, Ă  savoir l’absence de titres de chapitres et de parties) s’intitule « Justice ? », allĂ©chant des lecteurs·trices curieux de savoir si le roman va « faire justice » aux opprimĂ©es ou non.↩

  17. Ibid., non paginĂ©.↩

  18. Victor Margueritte, ProstituĂ©e, op. cit., p. 9.↩

  19. Ibid., p. 382. PrĂšs de 100 ans avant l’ouvrage cĂ©lĂšbre de Pierre Bourdieu, le second disciple de Montal (Hurtrel) utilise dĂ©jĂ  l’expression aujourd’hui classique, auquel il ajoute la « luxure » : « – Et s’il n’y avait encore, observa Hurtrel, que cet antique goĂ»t de la luxure et de la domination masculines !... [...] ». Comme tĂ©moignage de l’intĂ©riorisation par Rose (ou par Mme PoyĂšre, mais pas par Annette) de la domination masculine, on peut citer son dĂ©sir et sa recherche constants et absolus du regard masculin (le fameux « male gaze » thĂ©orisĂ©e en 1975 par Laura Mulvey), Ă©clatante lors de la fausse scĂšne de premiĂšre vue entre Raoul DumĂšs et sa bonne, lors d’un bal : « Elle [Rose], longuement, savourait la minute heureuse [lors de laquelle « [l]eurs regards se croisĂšrent »]. Engourdie de bien-ĂȘtre et de chaleur, elle goĂ»ta l’hommage ardent qu’il reportait vers elle, seule dĂ©sirĂ©e, plus belle que toutes. Le regard du maĂźtre mettait Ă  ses pieds tout ce beau monde, humiliait un destin magnifique » (ibid., p. 45).↩

  20. Ibid., p. 66.↩

  21. Comme celui d’Annette (qui devient Anne d’UmĂšs peu aprĂšs sa sortie de Saint-Lazare), le changement de nom (tardif) de Rose (Rose -> La Caille) indique la perte dĂ©finitive de son innocence. Cependant, son nouveau surnom comme sa rĂ©volte nouvelle est « mĂ©diate », en ce sens que ce n’est pas Rose (contrairement Ă  Annette) qui le choisit, mais des hommes ivres et vicieux du Bar Chinois dans lequel elle rencontrera L’Assommeur.↩

  22. Ibid., p. 241.↩

  23. Ibid., p. 498.↩

  24. Ibid., p. 217 et 498.↩

  25. « Il [Hurtrel] frappa de l’index la couverture blanche [du traitĂ© de Dormoy Pathologie des maladies vĂ©nĂ©riennes] : – Toujours votre documentation ? Un des ruisseaux !... » (ibid., p. 393). Voir aussi p. 272 (« – Moi [le journaliste Danvert, qui soutient la cause des femmes], c’est la troisiĂšme [fois qu’il va chez l’élĂ©gante Madame Van Meisen]. Je me documente... »).↩

  26. « Ainsi, ce n’était pas assez de les avoir laissĂ©es rouler jusque-lĂ  [les prostituĂ©es arrĂȘtĂ©es], il fallait encore que ce Dieu de misĂ©ricorde, punissant en elles seules le pĂ©chĂ© de la chair, commis Ă  deux [avec l’homme], prĂźt part, avec ses religieuses gardiennes, Ă  la rĂ©pression barbare, il fallait qu’il vĂźnt exploiter, par la voix du prĂȘtre, leur faiblesse et leur rĂ©signation, les Ă©blouĂźt de l’éternel mirage ! » : ibid., p. 243.↩

  27. Voir Susan Rubin Suleiman, Le roman Ă  thĂšse ou l’autoritĂ© fictive, Paris, Presses Universitaires de France, 1983 (rĂ©Ă©ditĂ© en 2018 par les Ă©ditions Garnier).↩

  28. MaĂŻtĂ© Snauwaert et Dominique HĂ©tu, « PoĂ©tiques et imaginaires du care », art. cit., non paginĂ©.↩

  29. Le « communisant » Victor Margueritte ne serait sans doute pas en dĂ©saccord avec l’emploi du terme, lui qui disait jadis : « Sans doute, – ainsi que je l’ai Ă©crit dans Ton corps est Ă  toi, – les États actuels ont “un intĂ©rĂȘt capital (c’est le mot) Ă  recruter pĂȘle-mĂȘle, et jusque dans l’Ɠuf, le plus de chair Ă  travail et Ă  canon possible” » : Victor Margueritte, dans Manuel DevaldĂšs, CroĂźtre et se multiplier, c’est la guerre !, Paris, G. Mignolet & Storz, 1933, prĂ©face, p. 8.↩

  30. « [...] une Ă©trange obsession sexuelle flottait [...] de possession sauvage, [...] toute la bestiale mentalitĂ© que les hommes leur avaient faite [aux prĂ©venues et, moins restrictivement, aux femmes dans son ensemble] » : Victor Margueritte, ProstituĂ©e, op. cit., p. 308.↩

  31. Au niveau extra (via par exemple les prĂ©faces) comme intra-fictionnel (via par exemple les personnages de porte-paroles textuels), la « justice sociale » et la « fraternitĂ© humaine » seront sans cesse qualifiĂ©es par Victor Margueritte de « bon[s] combat[s] » politico-sociaux : Victor Margueritte, prĂ©face Ă  Jean Nocher, TĂ©moignage de la jeunesse qui vient, Paris, Éditions Fustier, 1937, p. 13.↩

  32. « Rose Ă©coutait, sombre. “Bien sĂ»r, c’était des refuges [comme celui de l’ƒuvre LibĂ©ratrice, qui recueille des prostituĂ©es] comme ça, qu’il faudrait... Et des flottes !... [...]” » : Victor Margueritte, ProstituĂ©e, op. cit., p. 427.↩

  33. Voir notamment l’avant-propos rĂ©digĂ© par Victor Margueritte pour l’ouvrage de Mme Avril de Sainte-Croix, Le fĂ©minisme (Paris, V. Giard & E. BriĂšre, 1907, p. I-VII), dans lequel Margueritte s’exclame : « – Allez voir Mme Avril de Sainte-Croix. ƒuvre libĂ©ratrice, rue Boileau, n° 94 » (ibid., p. II).↩

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