Publication : 𝑆𝑒𝑛𝑠-𝑑𝑒𝑠𝑠𝑜𝑢𝑠 n° 30 : Réparer

Nadia TaĂŻbi, professeure de philosophie Ă  la Roche-sur-Yon, a dirigĂ© le dossier « RĂ©parer Â» pour la revue Sens-dessous. Les articles rassemblĂ©s dans le numĂ©ro sont multidisciplinaires et pensent le soin « comme un levier fondamental de la survie de notre espèce Â». Un aperçu du dossier est disponible sur le site Web de la revue.

L’édito de Nadia TaĂŻbi :

Les archĂ©ologies du handicap Ă©clairent d’un jour nouveau l’organisation des sociĂ©tĂ©s humaines de l’ère palĂ©olithique. Les dĂ©bats suscitĂ©s par la dĂ©couverte du fossile d’une fillette « diffĂ©rente Â» parmi les restes de 28 individus d’un groupe de prĂ©curseurs des NĂ©anderthaliens d’il y a environ 430 000 mille ans, en 2014 sur le site de Sima en Espagne, en sont un exemple.
NommĂ©e Benjamina elle prĂ©sente de nombreuses particularitĂ©s morphologiques qui indiquent une malformation crânienne très remarquable qui devait ĂŞtre assortie d’un retard cognitif limitant son autonomie. Or, elle ne fĂ»t pas rejetĂ©e par le groupe et vĂ©cut en son sein jusqu’à ses 10 ans. On peut imaginer l’ingĂ©niositĂ© dont le groupe dut faire montre pour surmonter les obstacles Ă  la vie de Benjamina : pour la rĂ©parer.
Cette preuve palĂ©olithique du soin permet de le penser comme un levier fondamental de la survie de notre espèce. Aussi la rĂ©paration serait le geste humain par excellence. Formulons l’hypothèse qu’à l’ère contemporaine et en dĂ©pit des apparences d’individualisme forcenĂ© nous maintenions ce geste initial ? Tout s’éclaire : cet appĂ©tit de fractures, cet amour du jetable, cette passion de l’obsolescence programmĂ©e sont des manifestations de cet atavisme congĂ©nital. Fractures sociales, coloniales, gĂ©nĂ©rationnelles etc. sont autant de rappels oĂą on se trouve Ă  rafistoler sans cesse ce qu’on amĂ©nage pour le rĂ©parer encore et encore, de Benjamina au grotesque Mario le bricoleur. Mario n’étant sans doute pas la meilleure version de nous-mĂŞme.

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Podcast : « Une rĂ©paration par la littĂ©rature ? Â»